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subordonnait pour l’avenir toute révocation de juge à une décision de la cour suprême précédée d’un débat contradictoire, rétablissant ainsi l’inamovibilité. Le comité de constitution, de son côté, n’avait pas hésité à proclamer ce principe.

Ainsi, pour l’avenir, l’inamovibilité était reconnue, mais, comme le parti royaliste en 1815, comme les partisans passionnés de la révolution après 1830, les républicains de 1848 entendaient en ajourner le bénéfice jusqu’au moment où ils auraient pu éliminer tous leurs adversaires politiques.

Dans la discussion de la constitution, l’organisation judiciaire ne donna pas lieu à de longs développemens. La théorie de l’incompatibilité des juges inamovibles et du gouvernement républicain n’eut même pas l’honneur d’une discussion. Le temps pressait, les pensées étaient ailleurs ; chacun songeait à l’élection prochaine du président de la république ; d’un commun accord, toutes les questions graves étaient renvoyées aux lois organiques. C’était donc vers les projets d’organisation que se tournait l’attention publique. La commission extra-parlementaire formée le 2 mars 1848 avait déposé en juin un projet dont le principal défaut était de soulever à la fois les questions les plus diverses : suppression de la chambre des requêtes, les cours ramenées à dix-neuf, les tribunaux réduits à un seul par département, le jury étendu aux matières correctionnelles, remplaçant les chambres d’accusation et chargé de fixer la peine et les dommages-intérêts, la distinction du fait et du droit imposée aux juges afin de préparer le jury civil, l’âge de la retraite fixé à soixante-dix ans, les compétences et les procédures modifiées, le pouvoir du ministre de la justice habilement limité par les présentations des cours jointes au barreau qui était chargé de tempérer l’esprit de corps, enfin une organisation du noviciat judiciaire, telles étaient les nombreuses réformes accumulées dans une même loi.

De tous côtés, des critiques s’élevèrent contre des changemens auxquels l’opinion des jurisconsultes n’était pas préparée et que la commission n’avait pas pris le temps de mûrir. La cour de cassation combattit le projet avec une impitoyable logique ; des écrits se multiplièrent. Les représentans du peuple se montrèrent plus vifs encore que les magistrats ; la suppression de huit cours et de deux cents tribunaux, l’atteinte portée à la propriété des offices avaient causé dans les provinces une irritation dont chaque député se fit l’écho. Le gouvernement devait en tenir compte. Le ministre de la justice, M. Marie, retira ce projet afin de lui en substituer un nouveau plus modéré, dans lequel, sauf le projet d’une institution nouvelle, aucune des réformes contestables n’était maintenue. La commission