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prononcées dans les provinces et déclarait qu’elles se prolongeraient jusqu’à ce que le ministre en ordonnât autrement. Ainsi, le gouvernement central tolérait chez ses délégués l’exercice abusif d’un pouvoir qu’il ne s’était pas reconnu ; c’était encore trop peu au gré des violens. Un décret proclama que le principe de l’inamovibilité avait disparu avec la charte de 1830 et qu’il était incompatible avec le gouvernement républicain. Provisoirement et jusqu’au jour où l’assemblée nationale réglerait l’organisation judiciaire, la suspension ou la révocation des magistrats pouvait être prononcée par le ministre de la justice. (Décret du 17 avril 1848.)

Tout aussitôt quatre premiers présidens furent suspendus. Les décrets se multiplièrent pendant quinze jours sans que M. Crémieux osât faire insérer au Moniteur ces actes arbitraires, contre lesquels la presse, revenue de son premier effroi, commençait à protester avec violence. D’ailleurs les pouvoirs dictatoriaux expiraient. Le 4 mai, l’assemblée nationale était réunie, et, le 6, elle entendait les rapports des membres du gouvernement provisoire. En rendant compte des travaux qu’il avait accomplis en dix semaines, le successeur improvisé de M. Hébert fut forcé d’adresser aux magistrats des éloges qui, dans sa bouche, sont les plus précieux de tous les témoignages. « En dehors de la politique, dit-il, la justice ne manquait à aucun de ses devoirs. Soigneuse des intérêts privés des citoyens, débattant devant elle leurs prétentions respectives, soigneuse de la liberté des citoyens poursuivis pour des faits qui rentrent dans le droit commun, la justice remplissait avec zèle, avec impartialité, cette partie si importante de ses attributions. Malgré quelques imperfections que nos assemblées nationales s’étudieront à faire disparaître, aucun peuple n’a des lois plus claires, plus simples que nos lois civiles et criminelles. Les juges en font une sage application, et notre magistrature dans l’accomplissement de ce devoir n’a certes aucun reproche à subir. » (Moniteur du 7 mai 1848, p. 969.)

« Le ministre de la révolution » ajoutait qu’il s’était contenté de suspendre quelques magistrats, mais qu’il n’avait pas révoqué un seul juge en présence des longues habitudes qui donnaient à la magistrature assise un caractère d’inviolabilité. De l’incompatibilité du principe de l’inamovibilité avec le gouvernement républicain pas un mot ne fut dit. M. Crémieux n’avait garde de renouveler à ce moment la déclaration aussi solennelle que maladroite contenue dans le décret du 17 avril. La commission chargée, dès le 2 mars, de préparer la loi constitutionnelle sur la magistrature avait commencé ses travaux et elle était loin d’admettre que l’inamovibilité eût, péri avec la charte de 1830. Elle se bornait à différer de trois mois l’investiture des corps judiciaires, mais elle