Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royalistes déplorant, sans se l’expliquer, le mauvais esprit des cours, répondaient les hommages de la reconnaissance publique entourant les juges dont l’indépendance avait garanti la loyale application de la charte. Tant il est vrai que, dans notre siècle, les corps judiciaires, quel que soit le mode de leur recrutement, reçoivent et partagent tôt ou tard, si leur indépendance et leur fixité sont garanties, les sentimens, les principes et les convictions qui animent la bourgeoisie et qu’échappant à l’esprit de caste, ils n’entament de luttes prolongées qu’avec les opinions extrêmes et l’intolérance des partis !


III

La révolution de juillet 1830 trouva les corps judiciaires en majorité favorables aux Bourbons, mais effrayés de l’aveuglement du roi, décidés à se prononcer contre l’agresseur, quel qu’il fût, une magistrature enfin qui se serait rangée tout entière autour de Charles X si les libéraux eussent tenté quelque insurrection, mais que la violation de la charte déterminait à se rallier autour du nouveau pouvoir né du besoin de la défendre et de sauver la société de l’anarchie.

Dès les premières heures qui suivirent la révolution, il fallait décider si une nouvelle investiture serait prescrite. La gauche, qui sentait son triomphe, voulait en profiter pour enlever dans la révision de la charte la promesse d’une épuration générale.

Cette mesure fut repoussée par la question préalable, et on pouvait croire la question vidée, lorsque M. Mauguin, reprenant le même vœu, proposa par un article additionnel que tous les magistrats cessassent leurs fonctions dans le délai de six mois, s’ils n’avaient pas reçu, avant cette date, leur institution. A M. de Brigode qui défendit la mesure, le rapporteur M. Dupin répondit avec fermeté, ne niant pas les mauvais choix des ministres de Charles X, mais ajoutant « qu’à chaque mutation du gouvernement, on avait voulu s’emparer du pouvoir judiciaire pour le faire servir à l’intérêt d’un parti, » que les gouvernemens nouveaux se donnaient une force considérable en sachant maintenir l’organisation judiciaire même malgré ses vices, que le parquet renfermait les élémens les plus contraires au nouveau régime, qu’on saurait y faire pénétrer l’opinion dominante, mais qu’il fallait éviter avant tout de renouveler, en ébranlant les juges, les fautes du passé.

En vain M. Salverte essaya de soulever contre la magistrature les récens griefs d’arrêts de répression ; M. Villemain rappela fort à propos le langage qu’inspiraient en 1815 les passions exaltées contre la magistrature ; il soutint que si l’inamovibilité devait être acquise par une espèce d’effort sur les impressions de la chambre,