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mauvais, écrivait du Midi un autre conseiller d’état. Des villes telles qu’Aix ou Marseille, où il eût été si facile de faire de bons choix, ont pour juges de paix de simples ouvriers qui sont sans lumières et sans considération. » Aussi, lorsque le général Bonaparte devint consul à vie prescrivit-il que l’assemblée primaire présenterait deux candidats à son agrément.

En réorganisant la magistrature, la Constitution de l’an VIII n’avait pas manqué de proclamer le principe de l’inamovibilité, mais il est de l’essence des pouvoirs absolus de ne pouvoir s’en accommoder longtemps. La sécurité des juges était complète en 1807, lorsque l’empereur ordonna une épuration générale des cours et tribunaux. Une commission de six sénateurs fut chargée d’examiner les dossiers, et la nomination de plus de soixante magistrats fut révoquée. Pour l’avenir, portait le sénatus-consulte, « les provisions qui instituaient les juges à vie ne seraient délivrées qu’après cinq années d’exercice de leurs fonction », si l’empereur reconnaissait qu’ils méritent d’être maintenus dans leurs places. » Trois ans après, sous le prétexte de rendre aux cours impériales un peu de l’éclat des parlemens, une nouvelle et plus large épuration fut faite. Quinze magistrats furent écartés dans la seule cour de Paris. Ainsi, deux éliminations arbitraires à trois années d’intervalle, l’inamovibilité promise comme récompense individuelle, telle était la situation précaire des magistrats, lors de l’installation de 1810.


II

Bouleversée par la révolution, façonnée par l’empire, qui l’avait brisée et refaite à sa fantaisie, la magistrature était composée, en 1811, des élémens les plus dissemblables. On comptait dans son sein quelques-uns des rédacteurs du code, qui consacraient leur vie à l’interprétation des lois qu’ils avaient eu l’honneur d’écrire, d’anciens membres de la convention appliquant autant de soin à se faire oublier qu’ils en avaient mis à se faire craindre, des jurisconsultes de l’ancien régime acceptant sincèrement la nouvelle législation, apportant leurs lumières dans les questions encore nombreuses qui devaient être tranchées par les règles du droit coutumier combinées avec les principes du code, enfin des jurisconsultes d’origine étrangère amenés à Paris par droit de conquête, siégeaient auprès des Français, éclairant de leur intelligence le conflit des droits mêlés par la guerre. L’application régulière à un travail commun avait rapproché sans les fondre ces élémens divers. Les maux de la guerre, en s’amoncelant sur la France, achevaient d’unir les sentimens. La conscription avait porté l’exaspération