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devant un décret confisquant les biens patrimoniaux des princes d’Orléans ?

Ceux qui, tout jeunes, avaient applaudi avec tous les libéraux aux éloquentes protestations de Berryer réclamant pour le droit de propriété un prétoire et le droit, forum et jus, ont retrouvé leur émotion d’alors. Les tribunaux sont demeurés fermes dans la jurisprudence inaugurée en 1852, et cette persistance a été invoquée comme leur plus grand crime. De ce jour, ils ont mérité d’être traités sans plus de ménagemens qu’une simple congrégation.

Au milieu de l’excitation des esprits, un dernier ordre de faits a achevé de compromettre la magistrature. Le pouvoir avait projeté d’employer les parquets pour l’assister dans les actes de haute police qu’il méditait d’accomplir ; il aurait voulu recouvrir la violence du manteau du droit ; les premiers magistrats mis en réquisition par les préfets leur ont refusé tout appui. En adressant leurs démissions au garde des sceaux, ils protestaient contre la subordination des parquets mis aux ordres de l’administration préfectorale. Partout où leurs services furent réclamés sous une certaine forme, les magistrats se retirèrent. Leurs démissions furent traitées de rébellion. La chancellerie refusa de les mentionner à l’Officiel et affecta de révoquer les démissionnaires, afin de frapper de terreur ceux qui seraient tentés de les suivre, en usant vis-à-vis des premiers d’un châtiment jusque-là exemplaire. Sévérité vaine : les démissions redoublèrent. On suivrait à leur trace les actes de violence morale tentés en secret par les agens du pouvoir. Il faut avoir reçu la triste confidence des pressions exercées par les préfets et par les chefs de certains parquets pour comprendre toute l’étendue des motifs qui imposaient aux hommes de cœur une rupture avec une carrière qu’ils aimaient. Enfin, après ces négociations mystérieuses, l’expulsion était opérée. Que de parquets se démirent le jour où les lois se trouvaient violées dans l’arrondissement où ils étaient chargés d’en assurer la sanction ! L’exemple fut suivi avec un élan plus généreux que sage, et causa peut-être une joie un peu trop vive aux coureurs de places et aux amateurs d’épuration. Plus d’un procureur-général a dû être délivré d’un grave souci en recevant la démission d’un magistrat dont l’éloquence au service du droit eût retenti quelques jours après dans la province. Quoi qu’il en soit, ces considérations ne doivent pas nous faire oublier l’hommage rendu d’un bout à l’autre du territoire par de vrais magistrats, à l’indépendance de leurs fonctions, à la cause du droit et à la liberté de leur jugement et de leur conscience. Noble exemple de désintéressement, bien fait pour reposer des palinodies et des défaillances, et pour nous empêcher, malgré nos douleurs, de maudire le temps où nous vivons !