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qui veulent détruire l’institution. Entre ces deux groupes d’adversaires, il est facile d’apercevoir la tourbe des malheureux qu’en leur vie de hasard la main de la justice a marqués, puis derrière ces agens empressés à diffamer parce qu’ils pensent effacer, en chassant les juges, le stigmate qui les obsède, on voit encore les rangs pressés des plaideurs qui ont conservé une rancune secrète, et qui, las de maudire en vain leurs juges, ont pris le masque des théories radicales pour se venger d’un seul coup en renversant la justice. Tout ce que la société renferme d’ambitieux, de déclassés et de misérables se trouve de la sorte coalisé contre le juge et prêt à mêler ses passions et ses haines. Le développement des mœurs démocratiques, en excitant l’envie, en donnant à l’homme une très haute idée de lui-même, en exaltant l’individu, favorise en cela les préventions populaires. Les causes les plus diverses se rencontraient donc depuis 1871 pour préparer contre la magistrature les élémens d’un formidable assaut.

Malheureusement les événemens politiques sont venus affaiblir la défense et ont amené aux assaillans des forces inattendues. Depuis neuf ans, il s’est passé sous nos yeux un fait sans précédent. D’ordinaire chacune de nos révolutions est suivie d’une période de calme, pendant laquelle le principe du gouvernement demeure hors de conteste. La restauration, le gouvernement de juillet, l’empire, ont connu ces heures de détente où tout leur souriait et pendant lesquelles la société, qu’elle fût libre ou comprimée dans ses aspirations politiques, reprenait ses forces et se maintenait unie. Dès 1872, nous avons vu une partie du pays, la fraction la plus riche, celle qui se disait la plus influente, s’éloigner du gouvernement nouveau sous l’empire de profondes défiances et refuser de fonder une république libérale et conservatrice. L’année suivante, elle s’empara du pouvoir et réclama l’alliance de la magistrature pour arracher la France à la démocratie. Après avoir échoué une première fois devant la volonté du pays, cet effort fut renouvelé dans des conditions qui rendaient inévitable un second avortement. En quatre ans les libéraux, deux fois chassés des affaires par des coups imprévus, y revinrent portés par la volonté nationale. A chaque revanche, le mouvement était plus général, l’élan plus irrésistible. Quelques magistrats, complices de maladroites tentatives, compromirent à eux seuls l’institution tout entière.

Les luttes électorales sous le régime du suffrage universel, quand le pays est en guerre avec la hiérarchie des fonctionnaires, déposent des germes de discorde qu’une longue période ne suffit pas à éteindre. Les élections de 1876 et de 1877 ont enfanté des préjugés et des colères qui tendent à paralyser, sur toute l’étendue du territoire, l’action normale de l’autorité ; à côté des dépositaires