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pendant des années. Un jour, dans une discussion, en 1841, il se laissait aller à dire en invoquant l’autorité de Napoléon pour les fortifications de Paris : « Je sais ce qu’on peut reprocher à la constituante, au directoire, à la convention, à l’empire, je le sais aussi bien que personne ; mais quiconque a pris part à cette grande révolution, quiconque en a défendu, comme Napoléon, les grands résultats, ceux qui sont contenus dans le code civil et dans la charte, est respectable à mes yeux. Et quant à moi, je l’avoue franchement, cette révolution, je l’aime parce qu’elle est la régénération de mon pays, et que, je l’espère du moins, elle sera, non par la voie des armes, mais par l’exemple, la régénération du monde. A mon avis, si, en 1800, Napoléon n’était pas arrivé pour la sauver, elle était perdue ; c’est Napoléon qui lui a donné quinze ans de gloire et de force et qui l’a rendue si respectable en 1815. » C’est le programme de l’Histoire du consulat et de l’empire, qui, aux yeux de l’auteur, n’était que la continuation de l’Histoire de la révolution française, et cette fois, dans l’œuvre nouvelle, si M. Thiers n’avait plus autant qu’à ses débuts la verdeur de la jeunesse, il avait la force de l’esprit mûri par l’action, par l’expérience du pouvoir et des affaires. Il avait pu pénétrer le secret des événemens, lire des correspondances encore inconnues, étudier dans les documens réservés les négociations de la diplomatie et la guerre. Il avait interrogé toutes les archives, et il ne s’était pas borné à cette étude patiente ; il avait voulu parcourir une partie de l’Europe, l’Allemagne, l’Italie, pour pouvoir décrire avec plus d’exactitude les champs de bataille, pour retracer fidèlement ce glorieux et fatal itinéraire de la fortune impériale qui était alors la fortune de la France.

Exposer dans ces premiers volumes, — les seuls qui datent du régime de juillet, — exposer la campagne de Marengo et de Hohenlinden, la paix d’Amiens, la création d’un gouvernement et d’une administration puissante, la réorganisation des finances, le concordat, c’était pour M. Thiers raconter ce qui plaisait le mieux à sa pensée, ce qu’il considérait comme les résultats essentiels, durables de la révolution ; c’était aussi montrer pour la première fois l’époque consulaire et impériale dans sa vérité historique, et ce vaste récit se déroulait abondant, facile, laissant pressentir dans l’avènement du génie heureux les fautes du règne, les entraînemens de la guerre et les excès de la toute-puissance. Assurément M. Thiers, en commençant son livre, n’avait aucune arrière-pensée d’opposition. Il avait bien voulu ramener l’empereur mort aux Invalides, il voulait bien écrire son histoire, il ne voulait pas le ressusciter au détriment du régime constitutionnel. Par une fatalité singulière toutefois, cette évocation du passé semblait venir à propos pour accabler le présent qu’on accusait d’humilier la fierté