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l’ordre territorial, la France n’avait pas renoncé au droit d’exercer son ascendant, d’avoir des sympathies pour les peuples, de faire à son tour respecter les traités par ceux qui seraient tentés de les violer dans un intérêt de domination ou de compression. « Toutes les fois qu’un gouvernement absolu disparaît en Europe, disait M. Thiers, toutes les fois qu’il s’élève un gouvernement libre, la France est délivrée d’un ennemi et elle gagne un ami… » Favoriser, seconder les émancipations libérales, non par la guerre, non par des propagandes perfides, mais par les conseils, par une influence modératrice, au besoin par un appui sérieux, c’était la vraie politique de la révolution de juillet, la politique qui avait fait la Belgique, celle à laquelle M. Thiers aurait voulu qu’on demeurât fidèle, y eût-il parfois quelque péril à courir. Au bout de tout, la France était toujours la France, et M. Thiers se plaignait qu’on se trompât d’époque, qu’on flattât un peu « cette faiblesse qui résulte de vingt-cinq ans de paix, » qu’on mît de l’affectation à entretenir le pays dans le culte de ses intérêts, au lieu de lui parler de dignité, de dévouaient, de grandeur nationale, même de sacrifices.


Pour moi, s’écriait-il un jour, je crois à mon pays, je ne cesse pas d’y croire. C’est la force que je lui connais, c’est la force de son âme, dont je suis convaincu, dont j’ai été témoin pendant quelques mois, lorsque en présence de l’Europe entière, je n’ai pas vu fléchir ses regards, c’est cette force qui fait la mienne. Aussi c’est ce qui me donne le courage de dire des vérités désagréables peut-être, quoique je cherche à les rendre modérées dans la forme ; c’est ce qui fait ma force, c’est ce qui me soutiendra jusqu’au bout. Quelque impossible que cela puisse me rendre, je persiste à dire à mon pays : Songez à votre grandeur d’autrefois ; ayez le courage de faire plus, ayez le courage de vous préparer aux événemens qui peuvent vous menacer ! ..


M. Thiers, en parlant ainsi, remuait certainement les fibres un peu amollies du patriotisme. Il avait entre tous le don de s’inspirer du sentiment national : il en avait les susceptibilités, même, si l’on veut, les préjugés et les faiblesses ; il en avait aussi la force, et ce sentiment qu’il mettait dans sa politique, dans ses discours, il le traduisait sous une autre forme, sous la forme historique, en racontant les grandeurs de la France aux premières années du siècle. C’était l’occupation constante, l’attrait puissant de cet esprit qui, à côté de ses travaux de parlement, au milieu des mêlées de tribune, trouvait, comme M. Guizot, le temps d’entreprendre, de mûrir des œuvres nouvelles. Aux derniers jours de la coalition de 1839, M. Guizot écrivait sur Washington une étude d’une gravité éloquente. M. Thiers, au même instant, avait déjà commencé son Histoire du consulat et de l’empire, avec laquelle il allait vivre