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l’esprit d’ordre et de conservation… » Le mouvement des choses ramenait la révolution de juillet à une de ces alternatives où elle s’était plus d’une fois débattue, et cette nouvelle crise, elle semblait se résumer dans le duel de deux hommes qui n’ont pas été sans doute les seuls ministres, les seuls orateurs des dix-huit années, mais qui ont été après tout par leur talent, par l’éclat de leurs rivalités, les deux personnifications les plus caractéristiques du régime. Alliés dans le gouvernementaux premiers jours de 1830, un instant séparés en 1836, réconciliés dans la coalition de 1839, associés pour quelques mois dans l’œuvre diplomatique de 1840, M. Thiers et M. Guizot se retrouvaient en présence, ennemis ou adversaires, au lendemain du 29 octobre : l’un rejeté sans retour dans l’opposition, l’autre porté au pouvoir par une réaction soudaine. Ce qu’ils ne prévoyaient ni l’un ni l’autre assurément, ce que personne ne pouvait entrevoir alors, c’est qu’au bout de cette phase nouvelle qui s’ouvrait, opposition et ministère, vainqueurs et vaincus du parlement, étaient destinés à disparaître, avec la monarchie elle-même, dans un irréparable désastre.

C’est le drame de ce long règne ministériel qui commence au 29 octobre 1840, de ces huit années où, à travers toutes les péripéties, tous les incidens, toutes les affaires extérieures ou intérieures qui se succèdent, s’agite sans cesse la question de la vraie politique, de la vraie direction du régime de juillet.

« Nous retournons vers 1831, vers l’esprit révolutionnaire, » écrivait M. Guizot à l’automne de 1840, et de ce souvenir ou de ce sentiment il faisait l’inspiration d’un système permanent. C’était l’orgueil, l’ambition de M. Guizot de refaire contre les agitations renaissantes, guerrières et révolutionnaires, la politique de Casimir Perier, de reconstituer une majorité conservatrice et de se placer à la tête de cette majorité pour assurer à la monarchie de 1830, à la France la paix et l’ordre. Il avait pour lui au moins l’apparence du succès, puisqu’il durait, puisque d’année en année il sortait à peu près victorieux des discussions irritantes, des élections plusieurs fois renouvelées, de tous ces défilés des complications orientales, du droit de visite, des conflits du Maroc et de Taïti, des affaires d’Espagne et de Suisse. Il gardait l’ordre et la paix ; seulement il ne voyait pas qu’avec ces mots de la « paix partout et toujours, » dont il se faisait presque un dogme, il froissait, il tenait en éveil les sentimens nationaux devenus plus susceptibles depuis 1840. Il ne s’apercevait pas qu’en refusant à l’intérieur toute réforme sous prétexte de ne pas rouvrir une issue aux agitations révolutionnaires, il identifiait la politique conservatrice avec la résistance pour la résistance, avec l’immobilité. Il ne remarquait pas enfin que, pour