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déjà commencé ne faisait que confirmer les prévisions de lord Palmerston, qui n’avait cessé de dire dans ses lettres intimes, avec une ironique et injurieuse sagacité, que la France, après beaucoup de bruit, ne ferait rien.

Vainement M. Thiers se raidissait contre toutes les difficultés qui grandissaient autour de lui ; vainement il essayait, par un dernier acte de diplomatie, de se retrancher dans des conditions presque modestes, réservant au moins la dignité et les intérêts de la France : il se sentait ébranlé et menacé de toutes parts. Chose curieuse ! la politique qui avait conduit à cette extrémité, M. Thiers ne l’avait pas imaginée, il n’en avait pas été le plus ardent promoteur ; la crise qui était née de cette politique, qui depuis trois mois remuait tous les sentimens nationaux, il ne l’avait pas provoquée. En réalité, il était la victime d’une situation qu’il n’avait pas créée, dont il portait toute la responsabilité, où il se trouvait maintenant pris entre le torrent de réaction pacifique qui tourbillonnait autour de lui et les excitations révolutionnaires qui le compromettaient. Il touchait à ce point du drame où un incident pouvait suffire pour trancher le nœud. Le 15 octobre, le roi sortant des Tuileries avec la reine pour revenir à Saint-Cloud essuyait le feu d’un assassin. Ce n’était pas le premier crime de ce genre tenté par d’obscurs séides de meurtre ; cette fois l’attentat tirait des circonstances une gravité particulière. Plus que tout le reste, en troublant l’opinion, en réveillant les instincts conservateurs, il ruinait la politique belliqueuse ; il précipitait la chute d’un cabinet dont quelques-uns des membres commençaient à douter d’eux-mêmes, et c’est ainsi que, le 29 octobre 1840, le pouvoir passait des mains de M. Thiers aux mains de M. Guizot, appelé de Londres par le roi et par ses amis. Depuis quelques jours, c’était prévu, préparé, accepté comme le seul moyen de sortir d’une crise qui s’aggravait d’heure en heure.


III

Que restait-il de cette expérience de quelques mois ? Le ministère du 1er mars n’avait pas réussi, c’était évident ; il avait échoué moins par la faute des hommes que par la force des circonstances. Il avait voulu représenter les idées de conciliation à l’intérieur, de dignité et d’action à l’extérieur. Il avait été surpris par un de ces orages qui violentent toutes les résolutions. Il laissait l’opinion troublée, les passions ravivées, la France sur le chemin des conflits. Que représentait, de son côté, le ministère du 29 octobre ? Il s’était formé, M. Guizot ne le cachait pas, « sous l’empire de deux idées : pour rétablir au dehors la bonne intelligence entre la France et l’Europe, pour faire rentrer au dedans, dans le gouvernement,