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A mesure cependant que se déroulait, dans toute sa gravité, cette situation extraordinaire, — c’était l’affaire de moins de deux mois, — de la violence même des choses naissait une certaine réaction accélérée par la rapidité avec laquelle semblait s’évanouir, sous les coups de la coalition, cette puissance égyptienne sur laquelle on avait trop compté. Au courant belliqueux se mêlait, comme en un tourbillon, un courant pacifique. M. L. de Lavergne, qui était le chef du cabinet de M. de Rémusat, ministre de l’intérieur, écrivait à M. Guizot ce mot spirituellement profond et légèrement sceptique : « Les choses iront à la guerre tant que tout le monde croira la paix inébranlable, et elles reviendront à la paix dès que tout le monde verra la guerre imminente. » On en était bientôt là. Les intérêts alarmés, les affaires suspendues, le crédit ébranlé, tout conspirait pour la paix. On s’effrayait surtout des agitations révolutionnaires qui se déployaient, qui tendaient de plus en plus à altérer ce grand élan de susceptibilité nationale. Ceux qui, dans le premier moment, avaient assiégé le gouvernement de leurs troubles et de leurs excitations, qui l’avaient le plus encouragé à l’énergie, ceux-là mêmes commençaient à réfléchir, à se refroidir et à chercher les raisons de s’arrêter.

La France, après tout, était-elle obligée de faire la guerre à l’Europe pour conserver la Syrie au pacha d’Égypte ? Puisque les coalisés semblaient ne pas vouloir aller jusqu’à la dépossession complète de Méhémet-Ali, cela ne devait-il pas. suffire ? Est-ce que M. Thiers n’avait pas dépassé la mesure par ses arméniens et par ses ardeurs ? Le roi, qui avait vivement ressenti l’offense du 15 juillet, mais qui mettait son amour-propre à contenir son patriotisme par sa prudence, le roi ne déguisait plus ses sentimens, son aversion pour la guerre. Une fois dégagé de ses premières émotions, il revenait à la paix, qu’il considérait comme son œuvre et son honneur depuis dix ans, comme un bienfait dû à son action personnelle. M. Guizot, à son tour, informé et excité par ses amis, M. Guizot, après avoir parlé avec fierté à Londres, ne tardait pas à prendre une certaine attitude de dissidence vis-à-vis du gouvernement. Il faisait part de ses inquiétudes et de ses idées au duc de Broglie, avec l’intention que les unes et les autres fussent connues du cabinet. « Je suis inquiet, écrivait-il, inquiet du dedans encore plus que du dehors. Nous revenons vers 1831, vers l’esprit révolutionnaire exploitant l’entraînement national et poussant à la guerre sans motif légitime, sans chance raisonnable de succès, dans le seul but et le seul espoir des révolutions. » Le roi à Paris, M. Guizot à Londres pensaient de même ; ils se détachaient de ce qu’ils considéraient comme une « politique pleine de péril. » Ce qu’il y avait de plus cruel, c’est que ce mouvement de retraite