Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout entière absorbée par l’activité intellectuelle, et celle-ci est difficile à décrire dans une lettre. Puis peut-être nous reverrons-nous bientôt et nous pourrons-nous en entretenir, à satiété. Ces derniers jours, nous avons eu cependant une petite distraction : nous avons ouvert une école russe à laquelle se sont déjà fait inscrire plus de cent enfans. N’est-il pas étrange que, durant une domination de quarante-huit ans, pas une autorité russe n’ait eu pareille idée ? Envoie-moi des livres d’enfans et des livres d’enseignement… »


« Varsovie, 13/25 novembre 1863.

«… Chaque jour le séjour ici me devient plus répugnant (tocknéié). Il faut une grande force de volonté pour terminer tranquillement l’œuvre commencée.

« Nos travaux marchent ; nous n’épargnons rien pour apporter quelque chose de complet et d’achevé. Nous voyons déjà poindre devant nous la fin de ce pénible voyage, qui restera pour toujours dans mon imagination comme une sorte de cauchemar de malade. Mais peut-être qu’à la dernière minute il se présentera encore quelques points obscurs inattendus qui, pour être éclaircis, exigeront encore un nouveau retard. Ici il faut tout éclaircir par soi-même « avec sa propre intelligence, » comme dit l’un des personnages de Gogol. Personne pour nous tirer de nos perplexités et dissiper nos doutes. Voilà pourquoi je n’ose encore fixer l’époque de notre retour, quoique je désire avec ardeur et que j’espère bien partir d’ici la semaine prochaine. »

A la fin de Novembre ou mieux au commencement de décembre, après deux mois de séjour en Pologne, Nicolas Alexèiévitch pouvait enfin s’arracher à ce qu’il appelait un travail de forçat[1], et annoncer à sa femme son prochain retour[2]. Sa joie de revenir n’était guère assombrie que par la perspective de nouvelles luttes à Saint-Pétersbourg et peut-être d’une nouvelle mission aux bords de la Vistule. Il rentrait à Pétersbourg le 26 novembre (8 décembre) 1863, après s’être arrêté quelques heures à Vilna pour conférer avec le général Mouravief et se ménager l’approbation du dictateur de la Lithuanie pour les projets encore inconnus qu’il rapportait de Varsovie.

  1. Lettre du 17/29 novembre.
  2. « Enfin je puis décidément annoncer notre retour… Encore cinq grands jours d’attente ! néanmoins je me sens tout ranimé et je termine vivement ce qui me reste à faire ! » (Lettre à sa femme du 21 novembre (3 décembre 1863.)