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se laisser enchaîner aux affaires de Pologne, plus il voyait d’obstacles se dresser devant lui et plus Milutine s’attachait à cette tâche antipathique avec la naturelle ténacité d’un caractère que les entraves pouvaient irriter, mais non abattre où rebuter.


« Varsovie, 6/18 novembre 1863[1].

«… Tout va comme par le passé. Nous travaillons jusqu’à l’épuisement de nos forces, et à ce travail il n’y a pas encore de fin. Les affaires dont on nous a chargés sont compliquées, et ici nous ne trouvons aucun aide. Aussi nous faut-il une grande prudence pour ne point induire le gouvernement en erreur. Chaque jour, nous nous heurtons à de nouveaux points obscurs, et pour les éclaircir un à un, il faut des conférences, des enquêtes, des renseignemens de tout genre, c’est-à-dire qu’il faut du temps. J’espère néanmoins avoir tout terminé au milieu de novembre, mais je ne puis encore fixer le jour de mon retour. »


« Varsovie, 16/28 novembre 1863[2].

« … Notre vie est si monotone, nos occupations toujours d’un même objet sont si peu attrayantes que parfois tout prend une couleur sombre et que des craintes de toute sorte se glissent aisément dans l’âme… Il m’est particulièrement pénible devoir notre travail nous retenir ici plus longtemps que je ne le supposais, mais s’arrêter à mi-chemin est impossible…

« La tâche qu’on nous a imposée (poviazali), nous l’accomplissons en conscience ; et après cela les intrigues qui peuvent nous attendre à Pétersbourg ne m’épouvantent point. Si mes propositions ne sont pas acceptées, il ne me sera que plus facile d’en finir avec cette… Varsovie. Revenir ici serait pour moi la plus pénible épreuve. Tu ne saurais croire à quel point toutes les classes de la population sont politiquement démoralisées. Partout le mensonge, l’hypocrisie, la lâcheté, la cruauté. S’il n’y a plus ici d’assassinats au coin des rues, c’est que les comités révolutionnaires ont rappelé dans les bois tous leurs spadassins qu’effrayaient les dernières exécutions. Quelle société que celle où l’on ne peut rien, faire que par la terreur ! Le temps ne me permet pas de m’expliquer davantage…

« Du reste, pas d’événemens dans notre vie personnelle ; elle est

  1. Lettre à sa femme.
  2. Lettre de N. Milutine à sa femme.