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Berg et Mouravief quand le moment sera venu. L’opinion du premier ne m’inspire du reste guère de confiance. J’espère avoir terminé pour le 15/27 courant. Outre notre impatience personnelle de nous arracher à l’atmosphère malsaine de Varsovie, chaque jour nous convainc davantage qu’il n’y a pas un instant à perdre. Il faut que, pour le printemps prochain, il y ait quelque chose de fait ; nous n’avons ainsi que trois ou quatre mois devant nous. »

Dans cette même lettre, Nicolas Alexèiévitch signalait avec indignation « comme une des plus cyniques mystifications de l’administration du royaume[1] » le projet du conseil d’état de Varsovie de frapper le pays, comme contribution de guerre, d’une taxe supplémentaire de II millions de roubles sur le sel, c’est-à-dire en somme sur le peuple, que Milutine, au contraire, prétendait gagner à la domination russe. « En vérité, s’écriait en terminant Nicolas Alexèiévitch, je ne puis voir sans amertume tout ce qui se fait ici pour compromettre le pouvoir. » A ses yeux, en effet, de pareilles mesures, faites pour mécontenter les masses, étaient plus que des maladresses, c’était presque de la complicité avec l’insurrection, presque une sourde trahison.

Durant ce séjour à Varsovie, l’excitation et l’entrain quelque peu factice des premières semaines faisaient place de plus en plus à la fatigue et à la tristesse. Les lettres de Milutine à sa femme montrent, avec son mécontentement et son impatience toujours croissante, ses angoisses et ses inquiétudes. Aucun appui dans le pays parmi la population polonaise ni dans l’administration russe. Des affaires d’une complication extrême avec des moyens d’étude et des moyens d’action insuffisans. A Varsovie, chez toutes les autorités, un mauvais vouloir mal dissimulé ; à Saint-Pétersbourg, de vieilles défiances avec de nouvelles intrigues en perspective. En face de tels embarras, on s’explique sans peine la mauvaise humeur de Milutine et le ton chagrin de ses lettres. On sent du reste à son amertume qu’il en voulait presque autant à la Pologne de l’avoir enlevé à la Russie et aux réformes si longtemps rêvées que de lui susciter tant de difficultés de toute sorte. Ce qu’il redoutait toujours pardessus tout, c’était de rester attaché aux affaires polonaises. Une des choses qu’il avait le plus de peine à pardonner au comte Berg, c’est que, pour le neutraliser ou le subordonner, le vice-roi avait imaginé de le faire nommer vice-président du conseil de Varsovie, dont il était lui-même président. Milutine ne voulait entendre parler d’aucune combinaison de ce genre[2]. Malgré cette résistance à

  1. Lettre au général M.
  2. Lettre du 3/15 novembre 1863 et du 25 octobre (6 novembre). Dans cette dernière Milutine disait : « Berg s’obstine à vouloir me faire nommer vice-président du conseil de Varsovie, il va sans doute écrire dans ce sens à l’Empereur. J’espère qu’on n’en fera rien avant de m’entendre, autrement il me faudrait offrir ma démission. »