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avons couru de village en village et de bourgade en bourgade, nous arrêtant partout pour interroger et inspecter, pour effrayer les woytes et les bourgmestres[1] et faire connaissance avec le peuple. La première étape pour la nuit a été Lodzy, la plus grande ville du royaume après Varsovie, avec quarante-cinq mille habitans et une quantité de fabriques. Le lendemain, nous avons suivi le même programme, avec cette différence que, vers la nuit, nous avons de nouveau repris le chemin de fer aux environs de Piotrkow.

« Toute la région que nous venons de parcourir est une des plus insurgées. Dans les bourgades fourmille encore la population dont se forment les bandes. Nous avons visité les colonies allemandes, où ces « bandes de brigands » (khichtchnikof), comme les appellent nos cosaques, ont massacré plusieurs cultivateurs.

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« Nous avons réussi à nous mettre en rapport avec le peuple, et cela nous a tous rendus de bonne humeur, dispos et pleins d’entrain. Les chefs militaires nous ont reçus à bras ouverts. Quant aux soldats, sans parler des cosaques de ligne, qui nous ont émerveillés par leur courage, leur intelligence et leur adresse, nous avons été frappés de l’inépuisable gaîté et de la hardiesse de toutes les troupes sans exception.

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« Lorsque, après cette tournée de deux jours, nous sommes revenus au chemin de fer, la raison m’a obligé de me séparer de mes compagnons. Ces derniers ont continué leur exploration plus loin, du côté de la frontière autrichienne, tandis que moi, faisant un effort de courage pour reprendre le travail de Varsovie, j’ai été contraint de revenir ici. Ce jour-là même, on avait brûlé deux ponts, en sorte qu’il m’a fallu prendre un train improvisé et me transporter d’une locomotive à une autre, me contentant parfois, au lieu de wagon, d’une simple plate-forme découverte. J’étais accompagné de chasseurs (strêlky) qui tout le temps n’ont cessé de folâtrer et de chanter le refrain : « Allons soumettre la Pologne[2] ! » et autres airs de ce genre, en sorte que le voyage de retour s’est effectué de la manière la plus gaie.

« Quant à mes compagnons de route Samarine, Tcherkasski, Artsémovitch et Annenkof, ils ont encore parcouru quelques villages, près d’Alkout (?), et ils rentrent à l’instant à Varsovie aussi

  1. Woytof i bourgmistrof, les représentans des propriétaires.
  2. Poidem Polchou pokoriat, je trouve ailleurs la variante ousmiriat, qui a un sens analogue. — Il s’agit ici d’un chant de circonstance composé par les soldats russes ou à leur usage.