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en même temps sa routine et ses abus. À ce seul titre, sans même tenir compte de l’atmosphère de Varsovie, de l’influence du milieu et des relations mondaines, le comte Berg devait bientôt se montrer l’adversaire naturel des intrus venus des deux capitales russes pour tout refaire à neuf. En sa qualité de vice-roi de Pologne, jaloux de maintenir ses prérogatives et celles de l’administration placée sous ses ordres, il allait involontairement et sans bien s’en rendre compte devenir contre Milutine et Tcherkasski, contre Pétersbourg et Moscou, le défenseur des débris de l’autonomie polonaise. Entre Milutine, Tcherkasski et leurs amis d’un côté, le comte Berg et l’administration du royaume de l’autre, allait bientôt commencer une guerre tour à tour sourde et ouverte qui, par ses péripéties et ses succès divers, devait rappeler les combats et les intrigues de l’émancipation des serfs et durer plus longtemps encore.


II

Milutine ne devait pas à ce premier voyage séjourner longtemps à Varsovie. Il se sentait particulièrement mal à l’aise dans la capitale polonaise, où toute la population persistait à porter le deuil et était manifestement sympathique à l’insurrection sans que le gouvernement russe eût comme dans les campagnes quelque appât à offrir au bas peuple pour le rattacher à la Russie. Nicolas Alexèiévitch ne perdait pas de vue ce qui, à ses yeux, était le principal objet de sa mission, la question rurale. Le peu de confiance que lui inspiraient le comte Berg et l’administration du royaume ne firent qu’accroître son désir d’en venir promptement au point essentiel, à ces affaires des paysans qui, dans le monde officiel de Varsovie, ne rencontraient que répugnance ou indifférence. Aussi, avant même que le pays fût pacifié, entreprit-il avec ses amis, à travers les campagnes du royaume, une expédition qui n’était pas sans périls et dont Samarine a laissé le récit en des pages étincelantes qui firent rapidement le tour de la Russie. Les lettres de Milutine nous donnent presque jour par jour les impressions de ces touristes réformateurs dans ce voyage d’exploration à travers la plaine polonaise, où, à l’aide d’interprètes, les trois fils de Moscou allaient annoncer aux paysans le moderne évangile russe de la propriété pour tous.


« Varsovie, 25 octobre (6 novembre) 1863[1].

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« Mon frère t’aura déjà probablement informée du succès de nos tournées dans les bourgs et les villages de la Pologne insurgée.

  1. Lettre à sa femme.