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fois indécis et obstiné, très jaloux de son autorité et peu capable d’en user lui-même avec esprit de suite.

Milutine, on vient de le voir par sa première lettre de Varsovie, s’aperçut dès son arrivée qu’il ne pouvait beaucoup compter sur le chef officiel de l’administration du royaume. N’ayant pas l’intention de rester en Pologne ou de demeurer attaché aux affaires polonaises, il ne pouvait cependant prévoir encore tous les tracas et les obstacles que lui devait susciter le comte Berg. Ce qui le frappait immédiatement, c’était le manque d’unité et de direction, le manque de programme et de système. A cet égard, il trouvait une grande différence entre la Lithuanie et la Pologne proprement dite, comme le montre un fragment d’une lettre à l’un des ministres de l’empereur.


N. Milutine au général M.


« Varsovie, le 13/25 octobre 1863.

………………………….

« La différence entre Vilna et Varsovie est énorme : à Vilna l’autorité est réellement établie, elle a foi en elle-même et on a foi en elle. Entre les chefs et leurs subordonnés il y a, autant que j’ai pu en juger, une complète unité de tendances et d’action ; en un mot, il y a un plan qui se distingue peut-être par une rigueur excessive, mais qui, dans le fond, est raisonné et sensé, et qu’on exécute strictement. Ici je n’ai encore réussi à rien découvrir de semblable, et je ne saurais guère y parvenir. En tout cas, on est dès la première minute frappé de la mutuelle défiance et de la désunion des autorités. On a jeté un tel levain de méfiance réciproque, non-seulement entre les services civils et le service militaire, mais au sein même de ce dernier, que, pour tout rallier ensemble et imprimer partout une direction ferme, il faudrait une personnalité puissante, et précisément c’est cette personnalité qui manque. Vous serez étonné peut-être d’un jugement aussi précipité, mais d’après tous les bruits qui sont déjà arrivés jusqu’à moi et surtout après deux longs entretiens avec le comte Berg, je ne puis me délivrer des plus tristes impressions ; je souhaiterais ardemment être dans l’erreur, et, si je puis m’en convaincre, je le confesserai avec joie. En attendant, je ne saurais cacher que je n’ai trouvé ici aucun plan arrêté. Tout se fait au hasard (po oudatchou), selon l’inspiration du moment, et je crains même qu’on n’atteigne pas le but qu’on s e propose : produire de l’effet.

« Mouravief a nettement compris que des rencontres avec les bandes insurgées ne tranchent pas la question, qu’il faut vaincre et détruire l’organisation révolutionnaire locale, couper les fils de