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ses efforts aux miens pour notre action commune en vue de l’achèvement de l’œuvre en question.

« Agréez l’assurance de ma parfaite considération et de mon dévoûment.

« M. MOURAVIEF[1]. »


« Un tel langage, à moins de trois ans de distance, de la part d’un des adversaires déclarés de la charte d’émancipation en Russie, devait être doublement agréable à Nicolas Alexèiévitch. C’était pour lui comme un acquiescement au passé en même temps qu’une garantie pour l’avenir. « Voilà un homme complètement transformé ! » s’était-il écrié à la première lecture de la lettre du général. En fait, la transformation de Michel Mouravief était peut-être plus apparente que réelle. Comme N. Milutine, c’était sur le paysan qu’il voulait attirer l’attention et les bienfaits du gouvernement russe en Pologne, c’était dans le peuple des campagnes qu’il prétendait chercher un point d’appui ; mais dans cette unité de vues leurs mobiles étaient bien différens. Pour le général comme pour beaucoup de ses compatriotes, cette préoccupation du paysan et du peuple dérivait uniquement de considérations politiques. A ses yeux, la question agraire n’était qu’une machine de guerre contre l’insurrection et le polonisme. Si, dans les provinces occidentales, il vantait et appliquait, en renchérissant encore dessus, des procédés qu’il avait énergiquement repoussés et flétris en Russie, ce n’était point qu’il cessât de les considérer comme révolutionnaires, c’était bien plutôt qu’il y voyait un instrument commode pour battre les propriétaires polonais. Peu lui importait que cette arme fût empruntée à la révolution, il s’en servait sans scrupule contre les ennemis de son maître et de son pays, parce que contre de tels ennemis les armes les plus sûres lui semblaient les meilleures.

Tout autre était le point de vue des Milutine, des Tcherkasski, des Samarine. Leur préférence pour le paysan et leur intérêt pour le peuple n’étaient pas une affaire de circonstance. Les lois agraires qu’ils allaient conseiller et appliquer en Pologne n’étaient pas seulement de leur part un expédient politique ou un fait de guerre justifié par l’état de révolte et d’hostilité armée. Les maximes et les mesures qu’ils allaient recommander en Pologne, ils les avaient préconisées et en grande partie mises à exécution dans la Russie même. L’insurrection leur fournissait seulement l’occasion de mettre leurs principes en pratique d’une manière plus brusque et plus

  1. Mouravief, on peut le voir à cette lettre, n’était pi écrivain ni orateur. Nous avons le regret de ne pas avoir entre les mains la réponse de Milutine.