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beau faire, elle se retrouve toujours en présence de cette terrible question avec laquelle elle est condamnée à vivre et qu’elle ne sait comment résoudre. Ce n’est plus maintenant pour la liberté religieuse ou pour le « rappel de l’union, » comme au temps d’O’Connell que l’Irlande est dans une sorte d’insurrection ; elle s’agite pour quelque chose de plus redoutable encore peut-être, pour une question agraire, pour une révolution dans la constitution de la propriété, tout au moins pour une réforme radicale dans les relations des fermiers et des propriétaires. Au fond, c’est le cri éternel de la nationalité vaincue et subjuguée, de la race conquise et irréconciliable, protestant contre la conquête dont la dernière trace visible est dans l’organisation survivante de la grande propriété. C’est le cri farouche d’une population misérable cherchant partout l’explication et le soulagement de ses misères héréditaires. Le cabinet libéral qui s’est formé à Londres il y a quelques mois ne s’est jamais flatté sans doute de donner une satisfaction complète aux revendications irlandaises ; dès son avènement du moins, il croyait remédier à quelques-unes des souffrances de ce malheureux pays en améliorant la position des fermiers, en leur donnant quelques garanties de plus vis-à-vis des propriétaires. Il proposait un bill qui finissait par être voté, non sans difficulté, à la chambre des communes et qui allait échouer à la chambre des lords. C’est surtout depuis ce moment que s’est développée et envenimée une agitation dont la land-league, ou ligue agraire, a la direction, et à laquelle se sont associés les députés de l’Irlande à la chambre des communes. Tant qu’il n’y avait que des meetings, des discours, des manifestations populaires, ce n’était rien encore. Malheureusement l’agitation n’a pas tardé à se traduire par de véritables séditions, par une organisation insurrectionnelle, même par l’assassinat de quelques propriétaires. Rien ne peut donner une idée de cet état violent, où un mot d’ordre met sur pied des populations entières, où il suffit d’un avis pour frapper certains habitans d’interdit, où des menaces de mort multipliées, envoyées sous forme d’avertissement, sèment la terreur, et ont réduit déjà-nombre de propriétaires à la fuite. Qu’il y ait dans tout cela la part de l’imagination irlandaise, c’est possible ; il reste toujours néanmoins une réalité assez tragique.

La situation en est venue rapidement au point où le gouvernement anglais n’a pu se dispenser d’agir. Il a fait ce que font tous les gouvernemens : il a mis sa police en campagne, il s’est efforcé de réprimer les émeutes ou les attentats autant qu’il a pu, et il finit par avoir, lui aussi, son grand procès politique enveloppant tous ceux qui passent pour les chefs de l’agitation. Il y a le plus populaire, le plus écouté aujourd’hui, M. Parnell, député de Cork, M. Dillon, député de Tipperary, M. Biggar, député de Cavan, M. Sexton, député de Sligo, M. Sullivan, qui est en même temps que député éditeur des Weekly-News et de la