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Rossini, fût à ce point oublié ! L’Allemagne même, cette archiviste ordinaire de nos grands et petits chefs-d’œuvre tombés en déshérence, l’Allemagne elle-même n’en avait guère, que je sache, conservé qu’un morceau, le chœur d’hommes sans accompagnement, qui se chante encore dans les festivals.

Il se peut néanmoins que, par le temps qui court, cette reprise ne plaise pas à tout le monde ; vous allez voir nombre de gens ressusciter à cette occasion la querelle des anciens et des modernes. Voilà un directeur qui s’aperçoit que le public se fatigue d’entendre toujours la même chose et qui, jaloux de varier ses spectacles, invente d’exhumer du passé divers ouvrages en deux actes à représenter avant un ballet ; il pense en outre que ce sera une manière de détente pour sa troupe de plus en plus haut montée sur le cothurne et que ses chanteurs ordinaires ne pourraient que gagner à se livrer de temps en temps à certaine gymnastique où la voix s’assouplit, à faire en un mot ce que faisaient jadis des artistes comme Nourrit et Levasseur. Il semble qu’un raisonnement si simple devrait être approuvé de tous. Nullement ; au lieu de voir là un de ces essais d’importance secondaire, qui même alors qu’ils ne réussiraient qu’à moitié, seraient encore d’une administration intelligente, on s’efforce de passionner le débat, on crie à la réaction, à l’abomination :

Les femmes, les maris me prendront aux cheveux.
Pour trois ou quatre contes bleus,
Voyez un peu la belle affaire !


Oh ! la mesure et la proportion, qui donc nous les enseignera ? On nous répète : « C’est petit, cela n’emplit pas la salle ! » Guillaume Tell assurément porte plus haut et plus loin, mais Guillaume Tell n’est peut-être pas ce que l’on appelle, en argot de théâtre, un lever de rideau ; si par grand scandale, il arriva que l’un des actes du chef-d’œuvre servit à cet emploi, les amputations de ce genre ne sont, Dieu merci, plus à redouter sous le règne de M. Vaucorbeil. Passons-lui donc, en faveur des ballets du présent, ces aimables badinages d’autrefois et disons-nous qu’il sera toujours assez temps de revenir à l’opéra psychologique. Rien de cela d’ailleurs n’arriverait si le répertoire était maintenu en équilibre ; il aurait fallu pour bien faire que les petits ouvrages n’eussent jamais disparu de l’affiche ; mais, que voulez-vous ? On laisse le Comte Ory dormir quinze ans pendant lesquels le grandiose et le solennel font rage, puis, un beau soir, on le ramène avec un certain fracas devant le public, qui prend cela pour une nouveauté et trouve que c’est démodé. C’est l’histoire de M. Perrin usant de longues veilles à remonter Turcaret. Ces choses-là ne doivent pas être reprises, elles sont à demeure au répertoire ; vous les avez jouées le mois dernier, vous les jouerez demain. A merveille ! nul ne songe alors à les réviser,