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distingue la partition écrite pour notre Académie royale en 1827 de celle composée à Naples pour San Carlo en 1818.

Ce fut l’heure psychologique où le Comte Ory vint au monde.

On voulait un ouvrage en deux actes à placer devant un ballet. Scribe, expert déjà dans l’art tant pratiqué depuis de tirer d’un même sac plusieurs moutures, profita de l’occasion pour retourner en opéra un vieux vaudeville fabriqué de compagnie avec Poirson sur l’ancien fabliau. Admirable matière à mettre non pas en vers latins, mais en cavatines ! Car, ne nous y trompons pas, nous n’en sommes toujours qu’au vieux-neuf : librettistes et musiciens, c’est à qui ravaudera le mieux, les uns recousant et rapiéçant leur texte, l’autre s’ingéniant à faire resservir divers morceaux insérés, dans un à-propos de circonstance en l’honneur dix sacre de Charles X, et représenté aux Italien ? sous le titre du Voyage à Reims.

Saisirons-nous cette occasion de cataloguer ici les morceaux qui, après avoir dûment servi dans il Viaggio a Reins, furent appelés à faire aussi l’ornement du nouvel ouvrage ? Tant d’autres se sont chargés de ce soin qu’il nous est permis de nous récuser. On s’est même souvent extasié sur la singulière élasticité de cette musique capable de se prêter à l’expression des paroles les plus diverses ; on a cité l’air de Raimbault au deuxième acte, lequel, dans le Voyage à Reims, avait eu pour programme de raconter au parterre la prise du Trocadéro et qui, dans le Comte Ory, se contente d’inventorier et de célébrer la cave du sire de Farmoutiers, et pour la centième fois est revenue sur le tapis l’éternelle querelle intentée aux Italiens de ne tenir aucun compte du texte et de laisser aux seuls Allemands le mérite de respecter le sentiment dramatique. Or, voyez ; le plaisant de l’histoire : personne n’a plus que Gluck encouru ce reproche ; Gluck, l’homme des préceptes et des préfaces, l’archiprêtre de la déclamation, pure et simple, le grand ancêtre du wagnérisme, ne s’est jamais fait faute de rompre avec sa doctrine et d’emprunter à telle de ses partitions un morceau donc il retourne le texte avec la désinvolture qu’un Rossini ou qu’un Auber met à cette besogne ; utilisant la même musique en des situations non-seulement différentes, mais souvent complètement opposées. Le fameux air : « O malheureuse Iphigénie ! » qui depuis près d’un siècle émeut l’enthousiasme des amateurs de la musique d’expression, cet air typique n’est autre chose qu’un chant déjà employé dans un de ses nombreux opéras italiens (la Clemenza di Tito), à une époque où, n’ayant pas encore inventé son système, il cherchait simplement à faire de la mélodie sans y réussir toujours.

J’ai perdu mon Eurydice
Rien n’égale mon malheur !