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Goethe. À cette époque, Faust accaparait tous les esprits ; c’était une fureur, chaque théâtre voulait avoir le sien ; cela me fit hésiter ; survint alors la révolution de juillet, l’Opéra cessa d’appartenir à la liste civile pour passer aux mains d’un entrepreneur particulier, ma mère était morte en Italie, et mon père, qui ne comprenait pas un mot de français, trouvait le séjour de Paris de plus en plus insupportable ; je rompis donc le traité aux termes duquel je m’étais engagé à donner encore quatre grands ouvrages, préférant me retirer tranquillement dans mon pays et mettre mon vieux père à même de jouir comme il l’entendait de ses dernières années. J’étais loin de ma pauvre mère quand j’eus le malheur de la perdre, et je ne voulais pas voir un pareil chagrin se renouveler. »

Revenons au Rossini des années d’apprentissage et de dissipation ; la situation réclamait énergiquement un législateur quelconque du Parnasse, un Gluck ou un Mozart, par exemple, qui, selon les préceptes de Despréaux, serait venu enseigner à ce dilapidateur de ses propres ressources l’art de faire difficilement de la musique facile. Souvent en pareil cas un simple changement d’air réussit. Rossini vint à Paris tenter la cure, et tout de suite l’influence du climat se fit sentir : quelques visites dans nos théâtres, six semaines de flânerie sur les boulevards et de conversation avec nos artistes, il n’en fallait pas davantage pour mettre au courant de nos mœurs littéraires, politiques et musicales l’aimable ironiste qu’on appelait alors : le cygne de Pesaro, et si l’idée d’une transformation complète ne l’entreprit point, du moins pensa-t-il qu’une certaine évolution dans sa manière s’imposait inévitablement ; le grand dupeur espérait encore cependant se tirer d’affaire à bon marché et contenter les Parisiens en leur donnant, au lieu de neuf, divers remaniemens d’anciens ouvrages. C’est ainsi que Maometto devint le Siège de Corinthe et que de Mosè sortit Moïse. Rossini n’avait pas été longtemps sans se rendre compte de l’action que le passage d’un maître tel que Gluck avait exercée sur notre scène, un simple coup d’œil avait suffi pour le convaincre que ce dont les Italiens s’accommodaient encore ne conviendrait point à des Français, et qu’il lui fallait rompre avec un ordre de compositions décidément trop en dehors de nos usages. Le jovial sceptique, amené à faire son examen de conscience, reconnut ses fautes et recula devant une tentative d’importation d’autant plus périlleuse qu’il s’agissait d’un système déjà suranné de l’autre côté des Alpes et se rattachant à la tradition du vieil opera-seria, où les femmes à voix de contralto chantent des rôles héroïques comme Arsace et Tancrède. Averti par son observation, et connaissant mieux les Français, il prit donc mesure sur leur goût, peignit à fresque les grands ensembles du Siège de Corinthe et souffla sur Moïse l’esprit de grandeur, de majesté sacrée, tout cet éternel solennel, mêlé aux divines grâces raciniennes qu’on y respire et qui