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m’expliquer qu’il entreprît dans cet état un pareil voyage. Il espérait, me dit-il, gagner par là quelque argent pour sa famille. Hélas ! mieux eût valu qu’il se conservât pour elle. La manière dont il m’aborda vous eût fait rire ; c’était vraiment comique.

— Comment cela, maître ?

— Il paraît que Weber m’avait fort attaqué dans les journaux et surtout au sujet de Tancredi, impitoyablement malmené par lui. C’était assez pour qu’il n’osât se présenter et m’envoyât demander comment je le recevrais, ne se doutant pas de l’émotion glorieuse que j’eusse éprouvée, moi, gamin de vingt ans, si pendant que j’écrivais Tancredi j’avais pu supposer qu’un étranger de ce talent et de cette importance s’occuperait de mes barbouillages.

— M’est avis, répliquai-je, que les articles de journaux ne vous ont jamais empêché de dormir ?

— Assurément non. Que n’a-t-on pas écrit contre moi lors de mon arrivée à Paris, jusqu’à des pamphlets et des vaudevilles où je figurais un personnage grotesque : M. Crescendo, M. Vacarmini ! Le vieux Berton, de l’Institut, me chansonnait ; les bons confrères me représentaient comme une pauvre clarinette à bout de souffle ; ce n’était pas les portes de l’Opéra qu’il fallait m’ouvrir, c’était celles des Invalides ; mais bah ! je n’en suis pas mort ! Une chose m’a toujours chagriné pourtant ; je veux parler de cette multitude d’anecdotes et d’historiettes plus ou moins scandaleuses répandues sur mon compte, à commencer par la romanesque biographie dont ce fou de Stendhal m’a gratifié et qui ne contient pas un mot de vrai. Qu’y faire ? Se résigner ; on s’habitue à tout. »

Autre part, mis en demeure de s’expliquer sur son abdication prématurée, cet homme qui, à trente-sept ans, quittait le monde du théâtre après avoir déposé chez la concierge la partition de Guillaume Tell en manière de carte, P. P. C, répond à son interlocuteur :

« Que voulez-vous ? l’occasion ne s’est pas offerte, et d’ailleurs les circonstances m’eussent empêché de la saisir. Dieu sait que je me suis toujours montré d’humeur facile envers les librettistes ! En Italie, il ne m’est pas une seule fois arrivé d’avoir un texte complet entre mes mains. Je composais mes introductions avant que les paroles des morceaux qui devaient suivre fussent écrites. Et quels poètes dramatiques ! des gens capables de rimer une cavatine, mais qui n’entendaient rien aux exigences de la musique, si bien que c’était à moi de leur venir en aide !

— Mais à Paris, quand vous n’aviez au contraire que le choix des sujets et des collaborateurs, quelle excuse nous donnerez-vous ? Je m’étonne que vous n’ayez jamais eu l’idée de toucher à Faust,

— C’est ce qui vous trompe ; cette idée m’a longtemps préoccupé. Nous avions même avec Jouy comploté tout un vaste scénario d’après