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REVUE MUSICALE

Quelqu’un a dit que, si Rossini fût né avec la fortune de Meyerbeer, il n’aurait jamais écrit que de la musique bouffe. Ma conviction est qu’il n’aurait rien écrit du tout. Il faut cependant faire au naturel d’un individu la part qui lui revient ; celui-ci, comme prédestiné, tenait de son tempérament sanguin la belle humeur, l’entrain, la jovialité sémillante, ajoutez-y cette voix et ce talent de virtuose dont le ciel l’avait doué et qui mettait au service d’un esprit foncièrement comique et poussé par instinct à la charge tout ce que l’art du solfège, si en honneur à cette époque, lui venait fournir de festons et d’astragales. Ces fameux trilles, ces roulades tant démodées n’ont jamais porté préjudice à ses opéras bouffes, et même aujourd’hui, par ce beau temps de mélopée et de paraphrase symphonique où nous vivons, vous ne demandez pas mieux que d’y applaudir quand vous les rencontrez dans le Barbier, dans l’Italienne à Alger, dans la Cenerentola. C’est seulement quand elles interviennent dans le drame que ces efflorescences vous offusquent, et encore qui donc voudrait les condamner sans retour et nier qu’il y ait là un style très capable de se prêter à l’expression du sentiment, du pathétique ? Est-ce que, dans les divers ordres de l’architecture grecque, cette note n’est pas représentée ? Reprochons-nous à la colonne corinthienne ses fioritures de feuilles d’acanthe ? Pourquoi la tragédie lyrique n’aurait-elle pas tout aussi bien son style orné ? qui sait si le discrédit du genre ne vient pas de ce que la tradition de l’interpréter s’est perdue ? Sans parler des oratorios de Händel, où les plus énergiques, les plus sublimes sentimens de l’âme n’ont pas d’autre manière de s’exprimer, personne, au temps de Garcia, ne se refusait à prendre au sérieux, au tragique, dans Otello, les roulades du grand duo du deuxième acte avec Iago ; et Lablache, chantant Assur, faisait servir ces rythmes imagés à de surprenans effets de terreur. Quoi qu’il en soit, c’est sur la partie dramatique du répertoire bien autrement que sur les opéras bouffes, que le rococo