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crainte d’effrayer sa mère en partant pour un pays en pleine insurrection et, au su de tous, terrorisé par un comité révolutionnaire occulte. La situation des agens du gouvernement dans le royaume était en effet peu rassurante, ils y étaient chaque jour victimes du poignard, du revolver ou des bombes. Varsovie était naturellement l’effroi des mères ou des sœurs, des femmes ou des filles de fonctionnaires russes. Samarine, il est vrai, n’avait un moment reculé devant les appréhensions de sa famille qu’avec le dessein d’en triompher. Deux jours plus tard, il écrivait que sa mère consentait à le laisser partir et qu’il était aux ordres de Milutine. La joie de ce dernier éclate dans sa réponse.


N. Milutine à G. Samarine.


« Saint-Pétersbourg, 22 septembre 1863.

« Je ne saurais vous exprimer, très cher ami, Iourii Fédorovitch, la joie que me cause votre lettre. L’espoir de votre concours dans le difficile travail qui m’attend m’a donné une force et une confiance dont j’avais bien besoin (surtout dans ces derniers temps). Je dois vous avouer que plus j’avance dans l’étude du problème posé devant nous et moins je suis disposé à m’en remettre à mes propres forces. Votre collaboration m’est particulièrement précieuse. Involontairement, en se souvenant du passé, on envisage plus bravement l’avenir. Merci à vous, très cher Iourii Fédorovitch ! Vous me soutenez dans un des plus cruels momens de ma vie.

« J’attendrai très volontiers votre arrivée ici. Je partirai pour Varsovie vers le 6 du mois prochain ; le retard sur mon premier projet ne sera pas considérable. En tout cas, ce temps ne sera pas perdu, car je pourrai dans l’intervalle mieux me préparer aux investigations locales postérieures. J’ai encore ici une masse de lectures à faire sans lesquelles le travail sur les lieux serait ensuite moins efficace.

« Je vous avais d’abord parlé d’un mois pour la durée de notre séjour en Pologne ; c’est là naturellement une évaluation approximative. En vertu de l’autorisation qui m’en a été donnée, nous pourrons raccourcir ou allonger le temps de ce séjour selon ce qui sera réellement nécessaire. Il va sans dire qu’une fois mis au travail, il faudra l’achever consciencieusement, aussi bien que nous le permettront les circonstances, par cette époque de troubles. Malheureusement ces circonstances mêmes nous obligeront à aller au plus vite au dénoûment.

« On a perdu tant de temps que nous serons contraints de