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table rase ou une carte blanche sur laquelle il pouvait impunément se permettre toutes les expériences et légiférer dans le vide, à la manière d’un réformateur de cabinet, il n’épargna rien pour connaître le passé et les traditions du pays et du peuple, pour se rendre compte de ce qu’il était possible d’y tenter ou d’y improviser. Ce n’est pas sa faute si le manque de temps et le besoin pressant de faire quelque chose, si l’urgence des événemens ou l’impatience des hommes ne lui ont pas permis d’approfondir ces études préliminaires.

Milutine, en cette circonstance, semble mériter moins encore le reproche d’infatuation bureaucratique qui, en Russie comme au dehors, lui a été tant de fois adressé. Sa répugnance à entrer dans les affaires polonaises montre que sur ce terrain glissant, il était moins que jamais enclin à la présomption. Loin de s’en fier à ses propres lumières, il appela immédiatement à son aide des collaborateurs qui avaient la triple indépendance de l’esprit, de la position et de la fortune, des hommes fiers qui n’eurent jamais rien de servile ni dans l’intelligence ni dans le caractère, qui avaient en toute chose leur propre point de vue et tenaient à leurs idées, en un mot des hommes qui, pour la docilité, étaient assurément les plus mauvais instrumens qu’on pût trouver dans tout l’empire.

La première invitation de Nicolas Milutine fut naturellement pour George Samarine et, par Samarine, pour le prince Vladimir Tcherkasski, qui, grâce à sa répugnance pour la correspondance et les lettres, était en rapports moins fréquens avec Nicolas Alexèiévitch.


N. Milutine à G. Samarine,


« Saint-Pétersbourg, 13/25 septembre 1863.

« Mon sort est décidé, très cher Iourii Fédorovitch. Les motifs pour lesquels je regardais comme impossible d’accepter aucune fonction exécutive en Pologne (et à plus forte raison l’administration du royaume) ont pour cette fois été pris en considération.