faisaient tous les deux si grand cas de leur opinion réciproque qu’ils semblaient, presque se croire incomplets isolément.
G. Samarine et N. Milutine demeurèrent trois jours ensemble et, durant trois fois vingt-quatre heures, ils ne se quittèrent presque point, examinant et discutant ensemble toutes les données du redoutable problème imposé à leur pays. Samarine était obligé de retourner dans sa famille à Moscou. Les deux amis se séparèrent sans avoir pris d’engagement l’un envers l’autre. Nicolas Alexèiévitch espérait encore éluder le fardeau tombé inopinément sur ses épaules ; néanmoins après cette entrevue qui lui rappelait les anxiétés et les consolations de l’époque la plus féconde de sa vie, il se sentit plus confiant, plus calme ; il envisagea les événemens d’un œil plus ferme et retrouva un peu de la quiétude morale qui lui faisait défaut depuis son arrivée à Saint-Pétersbourg.
L’empereur venait de rentrer dans sa capitale. Il était allé à Helsingfors ouvrir la diète de Finlande suspendue sous le règne de son père, comme si, par le contraste de sa conduite envers le grand-duché et envers le royaume de Pologne, il eût voulu rendre plus sensible et plus amère aux sujets rebelles dont il s’apprêtait à supprimer toute. l’autonomie, l’impolitique folie de leur insurrection. Milutine fut appelé en audience le second ou troisième jour du retour impérial. Sa résolution était prise ; il était inébranlablement décidé à refuser tout poste qui l’attachât d’une manière définitive à la Pologne ; mais s’il ne pouvait se dégager autrement, il se résignait à accepter une commission temporaire dans le royaume.
Cette fois, l’empereur ne parut pas aussi pressé de le recevoir ; il remit à trois heures l’audience indiquée pour midi. C’était encore à Tsarskoé-Sélo, le Saint-Cloud ou le Versailles russe, par une belle journée du précoce automne du Nord. Nicolas Alexèiévitch mit ce retard à profit en faisant quelques visites aux hauts fonctionnaires en villégiature autour de la résidence impériale, puis, ses visites faites, il erra le long du lac sous les ombreuses allées du grand parc à l’anglaise. C’était précisément l’heure ou les brillans papillons du high-life y viennent voltiger. Quoique le beau monde de Tsarsko fût fort réduit à cette fin de saison, les élégantes promenaient dans les allées indiquées par la mode leur oisiveté et leurs toilettes aux regards des aides de camp et des jeunes officiers de la maison militaire, tandis que de hauts dignitaires civils se délassaient des soucis de leurs graves fonctions en courtisant ou raillant les dames. Il y avait dans tout ce cadre de vie de cour, dans cette atmosphère mondaine qui enveloppe les abords des palais aux heures mêmes les plus graves de l’histoire des peuples, une futilité extérieure d’autant plus sensible et plus attristante, pour un homme comme