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à ceux d’entre vous qui se trouveront à portée de son bras : les uns sont atteints par sa lance, les autres tombent fauchés par son épée ; de son bouclier même le héros se fait une arme ; les assaillans qui le serrent de trop près sont précipités du haut du rempart ; ils roulent sur eux-mêmes, comme s’ils venaient d’être frappés par le ceste d’Eryx. La brèche, pendant ce temps, peu à peu se garnit ; Cœnus a remplacé Admète, les hypaspistes ont rejoint les hétaires. Quel groupe plus vaillant couronna jamais une muraille conquise ? Soldats de Malakof, voilà vos modèles ! Vous nous avez appris qu’on pouvait les dépasser. Quand je songe à ce que vous avez fait le 8 septembre 1855, je m’étonne que la fortune, à quelques années de là, ait pu vous trahir, et l’espoir, malgré moi, rentre dans mon cœur. Voilà pourquoi votre grande image constamment me poursuit et vient si souvent faire tort dans ma pensée aux soldats d’Alexandre.

La dernière heure de Tyr a sonné. Les Tyriens peu à peu reculent ; les plus courageux se laissent égorger sur place, les autres s’enfuient à travers les rues ; ils vont donner sur les troupes qui accourent du port intérieur. Le combat a cessé, le carnage commence. Les Macédoniens avaient à se venger de la longueur du siège ; Tyr les retenait sous ses murs depuis sept mois. Aucun fuyard ne fut épargné ; 8,000 Tyriens périrent dans cette journée sans merci. « Tout était juste alors, » s’il en faut croire le poète ; l’ivresse du sang enlève, en effet, le soldat au plus sévère contrôle ; Alexandre ne put exercer sa clémence que sur les assiégés qui s’étaient réfugiés avec Azelmicus dans le temple d’Hercule. Et quelle clémence encore ! 30,000 hommes, les seuls échappés au massacre, furent vendus, sur le marché de Tyr comme esclaves. Il parut sans doute nécessaire de frapper de terreur tout ce qui eût été tenté d’imiter l’exemple de la cité altière. La mesure, reconnaissons-le, était dans les mœurs du temps. Elle provoque notre indignation. Si Alexandre eût un seul instant hésité à la prendre, les murmures de l’armée lui auraient certainement reproché sa faiblesse. Les masses n’ont jamais été magnanimes, et, si nous voulons nous montrer équitables envers les anciens, il faut nous rappeler les sanglantes horreurs devant lesquelles n’ont pas reculé à diverses reprises des nations chrétiennes. L’homme de guerre, si humain que puisse être son tempérament, n’est que trop souvent forcé de se faire une conscience à la Richelieu. Il frappe et s’endort tranquille. Je comprends fort bien que, pour peu qu’on oublie que cet homme accomplit un rigoureux devoir, son calme, sans qu’on ose pourtant le blâmer, épouvante.

Une place enlevée par surprise ne procure qu’un succès sans portée ; une ville gagnée pied à pied, avec des alternatives de