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son cœur les impatiens désirs, les inquiétudes mêmes qui l’appelaient en Égypte ; il se promit de tout risquer, de ne ménager ni sa personne ni ses troupes, pour mieux venir à bout d’une résistance qui devait toucher à son terme.

Trois jours après l’assaut resté sans résultat, une circonstance favorable se présente : la mer était calme et plate comme un lac. Alexandre fait de nouveau approcher les vaisseaux munis de machines. Du premier choc les murailles, déjà ébranlées, chancellent ; quelques coups de bélier encore, elles s’abattent. Les remparts, comme un rideau fendu de haut en bas, se déchirent et à travers la large fissure apparaît la ville. Les navires s’écartent pour faire place aux colonnes d’assaut. Ces colonnes ont été embarquées sur deux vaisseaux de combat. Sur l’un de ces vaisseaux vous trouverez, avec Alexandre, les hypaspistes commandés par Admète ; sur l’autre, les hétaires à pied conduits par Cœnus. Il n’est point d’assaut sérieux qui ne soit accompagné d’une diversion ; l’assiégeant a trop d’intérêt à diviser l’attention de l’ennemi. La flotte a reçu l’ordre d’attaquer à la fois les deux ports, d’inquiéter même, si elle en trouve l’occasion, les autres parties de l’enceinte. La flotte d’Alexandre n’est pas, comme la nôtre devant Sébastopol, condamnée par son tirant d’eau à se tenir à 1,800 mètres des remparts ; elle peut accoster les murs et y appliquer les échelles. Le port égyptien était fermé par une estacade ; les vaisseaux de l’aile droite y pénètrent après en avoir rompu la barrière. Ils brisent à coups d’éperon les navires mouillés au milieu de la darse, écrasent contre les quais les bâtimens amarrés à terre. L’escadre de Chypre, pendant ce temps, attaquait le port intérieur. Ni chaîne ni drome flottante n’en barraient l’entrée ; la précaution avait été jugée superflue, puisque le port, veuf de ses bâtimens détruits par Alexandre, restait vide. Mais ce port, dont on laissait l’ouverture sans défense, donnait accès aux murailles ; les Tyriens auraient dû y songer. La lassitude, le découragement produit par de longues souffrances et par l’ombre sinistre que projettent devant eux les dénoûmens funestes, n’ont-ils pas engendré de pareils oublis dans tous les sièges ? Si l’on eût placé à la gorge de Malakof les deux canons qui devaient, suivant les ordres du général Totleben, battre l’intérieur de l’ouvrage, Malakof eût été, comme le bastion central, le tombeau des Français.

La seule pensée d’emporter une place telle que Tyr par escalade cause le vertige ; cette audace cependant n’est rien si on la compare aux choses que nous avons vues : des soldats courant pendant 200 mètres sous la mitraille, se jetant, au bout de cette course folle, dans un fossé profond de 18 pieds, y rencontrant des mines, des fougasses, perdant par l’explosion des compagnies entières et