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surface, c’est un jeu que de nager, pendant quelques minutes, entre deux eaux. Les Macédoniens prirent à la fin le meilleur parti ; ils amarrèrent leurs vaisseaux avec des câbles-chaînes. Que de temps il nous a fallu à nous-mêmes pour en venir là ! Et pourtant, nos ancêtres les Vénètes ne mouillaient jamais autrement. On serait quelquefois tenté de croire que si, depuis deux mille ans, nous avons beaucoup appris, nous avions beaucoup oublié.

Grâce à cette précaution et à l’activité des dragages, l’approche de la muraille de mer allait devenir facile ; les Tyriens jugèrent le moment venu de tenter une sortie. Les sorties tardives, ce sont les premières convulsions d’une place qui se noie. Ce qui inquiétait le plus les assiégés, c’était la crainte de voir, au moment de l’assaut, les vaisseaux de Chypre se ruer sur le port intérieur. La longue impunité avec laquelle cette portion de la flotte ennemie maintenait son blocus devait heureusement avoir apporté un certain relâchement dans sa surveillance ; il était donc permis de compter, le jour où l’on voudrait la surprendre par une attaque soudaine, sur la somnolence qui finit toujours par gagner une escadre mouillée sur ses ancres. La même ruse a réussi tant de fois qu’en la mentionnant de nouveau, je ne sais trop si je donne vraiment un exemple à suivre ; peut-être conviendrait-il à cet égard d’innover un peu. N’importe, j’enregistre scrupuleusement cette répétition du stratagème dont Conon fit, dans les eaux de. Lesbos, un si heureux usage. A Tyr, comme à Mitylène, on tend des voiles devant les galères pour dissimuler l’embarquement des troupes ; comme à Malakoff, comme à Syracuse, on choisit pour donner le signal de l’attaque, l’heure de midi, c’est-à-dire l’heure où, de temps immémorial, le soldat et le matelot dînent. Les Tyriens n’équipent, pour cette entreprise, qu’un petit nombre de vaisseaux, mais ils les choisissent parmi les plus forts qu’ils possèdent : — trois quinquérèmes, trois quadrirèmes, sept trières ; ils mettent à bord leurs meilleurs rameurs. Sur le pont se tient prête une troupe d’élite, aguerrie et familiarisée avec les combats de mer. Les rameurs voguent doucement et sans bruit ; le céleuste lui-même fait silence. Les Cypriotes n’ont encore donné aucun signe d’alarme : l’escadre continue de se glisser hors du port : tout à coup les rameurs se lèvent et poussent tous à la fois un grand cri ; le moment est venu : chacun s’est courbé sur sa rame, chacun accompagne la voix du céleuste et marque la cadence en faisant ployer sous ses bras nerveux l’aviron. Les galères volent sur l’eau ; la flotte de Chypre est prise à l’improviste. Certains vaisseaux ont à peine quelques hommes d’équipage ; ceux qui ont leur équipage au complet n’ont pas eu le temps de se mettre en défense. La galère de Pnytagore, — vous