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nous verrons bientôt Alexandre montrer que sa ténacité pouvait au besoin le servir aussi bien que son courage. Le siège de Tyr rappelle, à s’y méprendre, celui de Motye. Le cardinal de Richelieu suivit, prétend-on, les opérations dirigées contre la Rochelle, un Quinte-Curce à la main ; Alexandre doit avoir eu à sa disposition le journal de siège du vieux Denys.

Il n’est rien que les hommes respectent à l’égal de la durée. La fragilité de leur existence, la rapidité de leur passage sur cette terre, les a, de tout temps, portés à s’incliner devant les lointaines origines. À ce titre, les cités n’ont-elles pas leur noblesse comme les vieilles familles ? Tyr était une ville noble s’il en fut au monde, car elle existait déjà, riche et florissante, que les habitans de la Grèce se nourrissaient encore de glands doux. Quinze siècles avant Jésus-Christ, les Tyriens possédaient : sur le continent, une place forte, sur l’îlot voisin, un arsenal maritime, sur un second îlot, un temple justement célèbre, le temple d’Hercule ou de Melkarth. En l’année 1209 avant notre ère, les fugitifs de Sidon vinrent doubler la population de Tyr. Si le prophète Ézéchiel, annonçant à la cité arrogante et superbe ses malheurs futurs, n’y eût joint le tableau de la grandeur dont elle allait déchoir, nous n’aurions aujourd’hui qu’une idée imparfaite du degré d’opulence auquel pouvait atteindre, dans l’antiquité, une place de commerce. Tyr s’était réjouie du sac de Jérusalem ; le prophète lui prédit que ses murs aussi tomberont bientôt, « assaillis par les tours de bois et par les chaussées de terre, ébranlés à la base par les béliers. » Ce rocher, « où les pêcheurs font, de nos jours, sécher leurs filets, » a été jadis le marché du monde. Les flottes y rapportaient des contrées les plus reculées des richesses immenses : des ports de la Libye, du fer, de l’étain et du plomb ; de la Grèce, des esclaves et des chevaux. L’Ethiopie fournissait l’ébène et l’ivoire, la Syrie les pierres précieuses, la pourpre, les étoffes de lin et de soie, la Judée le froment, le baume, le miel, l’huile et les résines. Du territoire de Damas venaient les laines et les vins, de l’Arabie les bestiaux, de Saba l’or et les parfums. L’Afrique, l’Asie et l’Europe contribuaient à l’envi au luxe d’une cité assez riche pour garnir d’ivoire les bancs de ses rameurs et dont chaque armateur vivait entouré de la splendeur d’un prince. Pendant près de six siècles cette prospérité merveilleuse connut à peine quelques passagères éclipses. En l’année 715, le roi d’Assyrie vint frapper sans succès aux portes de Tyr ; cent quarante et un ans plus tard, le roi de Babylone, Nabuchodonosor, les enfonça. Le siège dura cependant quatorze ans. « Plus d’un guerrier y perdit les cheveux et revint les épaules courbées. » Alexandre mena les choses plus rondement ; l’art d’attaquer les