C’est à Sidon, s’il en faut croire Quinte-Curce, qu’Alexandre eut la singulière fantaisie de faire monter sur le trône un jardinier : il recommanda seulement qu’avant de l’investir du pouvoir suprême, on le conduisît au bain : Ablue corpus illuvie œternisque sordibus squalidum. Ce jardinier était, il est vrai, de sang royal ; on ne l’en trouva pas moins occupé à sarcler les mauvaises herbes de son jardin. « Je pardonne à tous mes ennemis, mais pas au liseron. » Il n’y a pas d’horticulteur sérieux qui, à son lit de mort, n’en dise autant. « Supportais-tu patiemment l’indigence ? » demanda au souverain improvisé le jeune conquérant. « Plaise aux dieux, répondit Abdolonyme, — je n’ai pas eu besoin de le nommer : qui pourrait ignorer cette histoire de collège ? — plaise aux dieux que je sache supporter aussi bien la royauté ! » Qu’eût pu dire de mieux Aristote ? Il faut s’entendre cependant : si Abdolonyme a voulu exprimer la crainte de demeurer au-dessous de sa tâche, je l’approuve ; il ne messied pas aux pasteurs de peuples de s’exagérer la gravité des obligations qu’ils contractent. Si le jardinier, au contraire, n’a fait que laisser percer l’appréhension secrète de trouver le fardeau trop lourd et l’oreiller trop dur, qu’on le renvoie bien vite à sa bêche ! Ne nous y trompons point du reste ; nous nous trouvons ici en présence d’un étrange abus de mots. Entre Abdolonyme et les oints du Seigneur il existe un abîme. Il n’y avait pas de rois, à proprement parler, sur la côte phénicienne ; on y rencontrait tout au plus des gouverneurs, des commissaires des classes ou des syndics des gens de mer. Les beys de Tripoli, de Tunis, de Bougie, de Tlemcen ont eu, au XVIe siècle, dans l’empire des sultans, une bien autre importance, et ce n’est certes pas dans les jardins d’Alger que Soliman eût jamais songé à chercher un successeur à l’héroïque Barberousse.
Suivant toujours la côte, Alexandre arrive sous les murs de Tyr. Les Tyriens ne sont pas moins disposés que leurs voisins de Sidon à se ranger sous la loi du vainqueur ; ils ne demandent qu’une chose : c’est qu’aucun Macédonien n’entre dans leur ville. Comment ! pas même le roi de Macédoine, pas même le descendant de l’Hercule Argien, impatient d’aller sacrifier à l’Hercule de Tyr ! Si le roi Azelmicus ne faisait pas voile, en ce moment, avec Autophradatès, on pourrait discuter, accueillir peut-être ce pieux désir ; une ville dont le souverain bat la mer est tenue de fermer ses portes au soldat étranger, car ce soldat serait bien capable de ne pas les rouvrir à la première sommation du prince. Le refus des Tyriens constitue une offense ; le siège de Tyr est à l’instant résolu. Assiéger une place et la prendre sont deux choses ; en pareil cas, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Le siège de Milet et le siège d’Halicarnasse avaient été déjà deux opérations de longue haleine ;