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est absolument impraticable de calculer sûrement et de comparer les facteurs de la production dans des pays différens. Chaque nation présente des avantages ou des inconvéniens, absolus ou relatifs, que l’on essaierait en vain de traduire en chiffrés pour établir la balance. Indépendamment de l’outillage national, qui consiste principalement en voies de transport, et des charges nationales, qui résultent des impôts, il y a mille conditions physiques, intellectuelles, morales même, qui ont leur part d’action sur le prix de revient. Est-il vrai que présentement le producteur français soit dans la situation la plus désavantageuse et que ses concurrens étrangers se trouvent en mesure de travailler, de produire et de vendre avec plus de profit ? On pourrait longtemps discuter là-dessus, et de la meilleure foi du monde, sans parvenir à s’entendre. Le problème est vraiment insoluble. Ce qui permet cependant de supposer que, dans les grands pays, les conditions s’équilibrent à peu près, c’est que les produits de même nature s’échangent couramment entre ces pays, et que, sur les marchés lointains de l’Amérique et de l’Australie, ils se présentent simultanément. Il faut donc ne point se préoccuper outre mesure de l’objection des protectionnistes ; mais il ne s’ensuit pas qu’ils aient tort de demander que l’on améliore l’outillage national et que l’on diminue les charges.

Là au contraire est la vraie question, et les discussions douanières rendraient à la France et à tous les pays un immense service si elles venaient à démontrer que la protection, sous la forme d’un tarif variable, contesté, inefficace souvent, serait utilement remplacée par la protection se présentant sous la forme d’un gouvernement intelligent et économe, qui s’applique à ménager les ressources des contribuables et à ne faire de l’impôt qu’un usage nécessaire et fécond. Là concurrence universelle est la loi de l’avenir. Chaque nation en profitera dans la mesure de l’augmentation de ses forces productives et de la diminution relative de ses frais généraux. Les gouvernemens ont, à cet égard, une responsabilité qu’il ne leur est pas permis de décliner et qu’il n’est jamais inopportun de leur rappeler. A nous, particulièrement, la génération qui nous suit demandera compte de ce qui aura été fait pour la liberté et pour la prospérité du travail national, pour la répartition plus équitable et pour l’emploi justifié de l’impôt, sous un régime politique qui se proclame plus capable qu’aucun autre de supprimer les prodigalités, les dépenses fastueuses, les taxes iniques et les sinécures. En un mot, ce n’est point à une commission du tarif que, soit à la chambre des députés, soit au sénat, l’agriculture, le commerce et l’industrie doivent aujourd’hui demander protection ; c’est à la commission du budget.


C. LAVOLLEE.