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l’on réédite aujourd’hui étaient justes, il faudrait rétablir, non pas la protection, mais la prohibition pure et simple ; car ce serait le plus sûr moyen de pratiquer le système. Or, dès avant 1860, l’opinion publique, les chambres et le gouvernement s’étaient détachés de la prohibition ; l’expérience avait démontré que la prohibition ne garantit pas nécessairement la continuité, la régularité du travail, qu’elle ne préserve pas des crises qui atteignent le capital et la main-d’œuvre, qu’elle ne protège ni le bénéfice ni le salaire. Pas plus que la prohibition, un tarif élevé ne réaliserait l’idéal. C’est ainsi que le législateur a été peu à peu amené à modérer les taxes. La protection absolue, accordée indistinctement à tous, a été remplacée par la protection partielle, mesurée, dosée en quelque sorte selon les prétendus besoins, selon les circonstances, et surtout selon le degré d’influence que pouvaient avoir, dans l’état, les intérêts qui en réclamaient le maintien. Pendant quelque temps encore, cette protection plus ou moins savante peut se soutenir ; mais ses jours sont comptés. On a vu avec quelle vigueur elle a été contestée dans ces débats de la chambre des députés. Quelque discernement que l’on mette à la répartir, elle laisse subsister des inégalités contre lesquelles proteste le sentiment démocratique ; par ses conséquences, rien que par son nom, elle est contraire aux idées de liberté, qui sont proclamées, sans être toujours pratiquées il est vrai, sous le régime républicain ; par son mécanisme, elle fonctionne au rebours de tous les progrès modernes, car elle maintient entre les peuples des barrières artificielles, alors que l’art, la science, la civilisation s’ingénient à supprimer les obstacles naturels qui séparent les régions et les peuples, et à faciliter dans toutes les directions l’échange des produits. Le résultat final de la lutte engagée ne paraît pas douteux ; les tendances de la législation sont certaines ; c’est par l’abolition des tarifs réputés protecteurs que l’on établira définitivement l’égalité dans les conditions du travail, la liberté dans la consommation et dans le mouvement des échanges.

Si la loi douanière qui est en ce moment soumise aux délibérations du sénat retarde le complet affranchissement, si la majorité de la chambre des députés n’a point cédé davantage, comme l’y portait son instinct, à la pression des idées libérales, il faut s’en prendre non-seulement, ainsi que nous l’avons répété, aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles a été élaboré et présenté le projet de loi et à l’indécision du gouvernement, mais encore à l’influence que la question des traités de commerce a exercée sur les votes. Les protectionnistes, tout en sollicitant les tarifs les plus élevés, ont prétendu obtenir du gouvernement l’assurance que, dans aucun cas, ces tarifs ne pourraient être modifiés par des stipulations insérées dans les traités de commerce. Autant valait interdire