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peuvent être renouvelés qu’à des conditions très inférieures. La petite propriété est atteinte, comme la grande, dans son capital et dans son revenu. Les plaintes qui arrivent des pays à céréales comme des contrées d’élevage sont universelles. Quant aux régions viticoles, le phylloxéra y poursuit ses ravages, et l’on cite des départemens où la vigne a complètement disparu : la production de nos vins a diminué de moitié. La crise est donc très sérieuse ; mais ici la question est de savoir si c’est à coups de tarifs que l’on peut la combattre efficacement dans le présent et pour l’avenir.

Comme toute autre branche de travail, l’industrie agricole est soumise aux mouvemens de la bonne et de la mauvaise fortune. La période des vaches maigres alterne plus ou moins régulièrement avec celle des vaches grasses. Faut-il donc, à chacune de ces périodes, soit élever, soit abaisser les droits de douane, pour garantir en quelque sorte un prix de vente ? Ce système a été pratiqué, quant aux céréales, par l’échelle mobile, et l’expérience l’a définitivement condamné. Les protectionnistes eux-mêmes le repoussent ou du moins ils ne demandent pas qu’il soit rétabli. Ce qu’ils réclament aujourd’hui, c’est un droit fixe inscrit dans le tarif général, c’est-à-dire applicable d’une façon permanente, quelle que soit l’abondance ou l’insuffisance de la production annuelle et assez élevé pour compenser les charges du sol, par exemple 2 ou 3 francs par hectolitre de blé, 30 francs par tête de gros bétail, et le reste à l’avenant.

A une époque peu éloignée, les représentans de l’agriculture, profitant des échanges que facilitaient les traités de commerce, s’étaient ralliés avec empressement aux doctrines libérales et ils protestaient contre les taxes maintenues pour la protection de l’industrie manufacturière. On pourrait ajouter que la hausse ou la baisse des fermages, que les variations dans la valeur de la propriété foncière sont conformes à l’ordre naturel des choses, tout comme la hausse ou la baisse des rentes et les variations dans le prix des immeubles, la loi n’ayant pas pour mission de maintenir ou de relever les cours qui fléchissent. Quant, à la crainte de voir l’agriculture en grève et le sol en friche, on ne saurait s’y arrêter : les capitaux anciens, s’ils venaient à se retirer, seraient remplacés par un capital nouveau qui se contenterait d’un revenu moindre, et le travail manuel ne serait pas interrompu.

Ce ne sont point cependant ces argumens, cruels peut-être, mais trop fondés en fait et en droit, que nous voudrions opposer, en les développant, aux partisans de la protection agricole, qui appellent le secours des tarifs. Il vaut mieux dire simplement que, sous un régime démocratique, aucun gouvernement, aucune assemblée ne prendra la responsabilité d’une mesure qui aurait pour conséquence