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fiscales, eurent recours à l’impôt des douanes et augmentèrent les taxes à l’entrée de leurs frontières. Ce concours de circonstances était bien fait pour relever la confiance du parti protectionniste, qui se présenta devant le gouvernement et devant les chambres, fortifié par de nouveaux alliés.

Nous avons dans une précédente étude[1] résumé les enquêtes auxquelles il a été procédé au sénat et à la chambre des députés. Comme on devait s’y attendre, dans ce concert de déposans accourus avec empressement de toutes les régions agricoles et manufacturières, c’est la note protectionniste qui domine. Les grandes industries, même celles qui sont réputées le plus prospères, déclarent qu’elles ne peuvent pas lutter contre la concurrence, que leur situation n’est plus tenable et que, si le nouveau tarif ne relève pas les droits protecteurs, elles se verront obligées d’abaisser les salaires ou de licencier leurs nombreux ouvriers. A leur suite, se présentent les industries secondaires, habilement groupées pour faire nombre, et venant demander leur part de tarif, comme on réclame une part de butin. Voici les représentans de l’agriculture : à les entendre, l’agriculture se meurt, l’agriculture est morte ; elle succombe sous la concurrence des États-Unis. Les blés d’Amérique, les bœufs, les cuirs d’Amérique et les porcs, ruinent le cultivateur français. La conclusion de tout cela, c’est que le législateur doit accorder, sinon la prohibition, du moins un régime de taxes et de surtaxes qui rétablisse l’équilibre.

Il se rencontra cependant de nombreuses contradictions. Parmi les industriels qui réclament ou acceptent la protection pour leur propre compte, il en est beaucoup qui se trouvent lésés par la protection accordée à d’autres et par le maintien des droits qui élèvent le prix des matières ou produits qu’ils mettent en œuvre. Ainsi le tissage veut bien être protégé, mais il voudrait que la filature fût protégée le moins possible, et que la modération du tarif lui permît de se procurer ses approvisionnemens à l’étranger comme en France, et au plus bas prix. L’impression sur étoffes, qui sollicite la protection, proteste contre l’exagération des droits accordés aux tissus dont elle a besoin. Il n’est pas d’industrie qui n’emploie le fer, la houille, les produits chimiques et qui ne désire l’abaissement des tarifs qui les concernent. La division du travail a créé la division des intérêts, et bien que les chefs de la ligue protectionniste eussent très habilement combiné leurs efforts pour maintenir la discipline parmi leurs associés, il y eut des dissidens. L’alliance conclue avec les agriculteurs ne fut pas non plus approuvée par

  1. Voyez, dans la Revue du 15 février 1879, le Tarif des douanes et les Enquêtes parlementaires.