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Cette procédure, réalisant le statu quo, aurait tout concilié, en laissant ouverte, pour l’avenir, la perspective des réformes libérales. Au lieu de cela, on s’est livré à des études, qui ont embrouillé le problème, et ces études ont entraîné des délais qui ont facilité l’organisation d’une opposition redoutable. Ce qui était simple est devenu compliqué ; ce qui paraissait clair est rendu obscur ; ce qui semblait avoir été décidé il y a vingt ans est remis en question. Le meilleur moyen pour le sénat de sortir de ces difficultés et de ces obscurités, ce serait de replacer la discussion au point où elle était posée à l’origine, sans s’arrêter ni aux argumens contradictoires que les délais ont fait naître, ni à l’agitation factice qu’ont suscitée les enquêtes, ni aux considérations d’ordre politique, qui doivent être sans influence sur la rédaction d’un tarif de douanes. Il n’est peut-être point permis d’espérer que le sénat s’arrête à ce parti. Les partisans du régime libéral en sont réduits à souhaiter que le sénat ne se laisse pas entraîner, par voie d’amendement, à de nouvelles augmentations de taxes qui prolongeraient indéfiniment le débat.

On a vu comment les protectionnistes ont su mettre à profit les délais qui ont retardé la présentation du projet de loi. Dès que le gouvernement leur a paru hésitant sur la politique commerciale, dès que le rejet de quelques-unes des propositions libérales du conseil supérieur leur a révélé les tendances ministérielles, ils se sont groupés de nouveau, ils se sont reconstitués comme parti, et ils ont relevé l’ancien drapeau de la « Défense du travail national. » Les circonstances leur étaient d’ailleurs favorables. En 1876 et en 1877, l’industrie, en France comme en Europe, avait subi un temps d’arrêt ; partout la production, très active depuis 1871, en était venue à dépasser les besoins de la consommation ; de là une crise, d’autant plus douloureuse que les marchandises européennes n’obtenaient plus qu’un accès très limité aux États-Unis, fermés par un tarif presque prohibitif. Les industriels saisirent habilement cette occasion pour invoquer l’assistance des pouvoirs publics, ils s’adressèrent au sénat, qui, en novembre 1877, ordonna une enquête à l’effet de « rechercher les causes de souffrances de l’industrie et du commerce et les moyens d’y porter remède. » En même temps, la crise, qui ne frappait d’abord que la grande industrie, s’étendit à l’agriculture ; l’insuffisance des récoltes dut être comblée, dans des proportions exceptionnelles, par les importations de l’étranger, et les pertes éprouvées par le travail agricole amenèrent une dépréciation sensible de la propriété foncière. Les industriels surent convaincre les agriculteurs que la concurrence était la principale cause de leur détresse commune et que l’unique remède consistait dans le relèvement des tarifs. L’alliance fut ainsi conclue. Enfin, vers cette période, plusieurs gouvernemens étrangers, obligés de se créer des ressources