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dans laquelle les droits relatifs aux principaux produits manufacturés étaient augmentés de près d’un quart ; en outre, l’exposé des motifs, signé par M. Teisserenc de Bort, ministre du commerce, contenait des déclarations empruntées directement à la doctrine protectionniste. En proposant de taxer, contrairement à l’avis du conseil supérieur, les produits dérivés du goudron de houille, le ministre du commerce s’exprimait ainsi : « Alors que la généralité, si ce n’est la totalité des produits fabriqués en France, reçoit une protection plus ou moins élevée, on n’aperçoit pas pourquoi et en vertu de quel principe une exception serait faite à l’égard d’une industrie qui n’a pas encore pris racine dans notre pays et qui lutte péniblement avec la production allemande. » Le droit à la protection douanière était donc formellement reconnu et proclamé en faveur de toutes les industries, et le langage du ministre du commerce, bien qu’il exprimât plutôt une opinion personnelle que l’opinion du cabinet tout entier, devait autoriser les efforts tentés pour la restauration de l’ancien régime économique.

D’où venait ce revirement ? Il était impossible de l’attribuer à une pression de l’opinion publique. En 1875 et en 1877, la question des tarifs avait tenu peu de place dans les programmes électoraux. Satisfaite de la législation qui depuis près de vingt ans réglait les conditions du travail et des échanges, la nation ne désirait point qu’elle fût modifiée, et, comme la plupart des traités de commerce, quoique dénoncés, continuaient à recevoir leur exécution par suite de prorogations amiables, elle ne s’apercevait pas du trouble que la rupture définitive de ces traités pouvait jeter dans ses relations avec l’étranger. Les préoccupations du pays étaient ailleurs. Le futur tarif n’agitait pas les esprits ; on le considérait généralement comme étant destiné à régulariser, à continuer le régime existant, à faciliter l’œuvre de la diplomatie pour la conclusion de nouveaux traités de commerce, et non pas à détruire, par le relèvement des droits, ce qui avait été fait en 1860.

Il est très important, pour le débat qui se prépare au sénat, de remonter au point de départ et de rappeler quels étaient, à l’origine, les projets du gouvernement, les sentimens des industriels et les vœux du pays. Le gouvernement prétendait consacrer le régime libéral, en ajournant, à raison des circonstances politiques, une nouvelle étape dans la voie des réformes ; les industriels désiraient conserver la mesure de protection dont ils jouissaient, et ils ne redoutaient que l’extension du libre-échange : le pays, à vrai dire, ne demandait rien. La question était alors des plus faciles à résoudre. Il eût suffi de décider que le tarif de 1791 serait abrogé et que les droits inscrits dans les traités constitueraient le nouveau tarif général, applicable à toutes les importations étrangères.