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citées. Demeuré jusqu’alors assez froid et plutôt récalcitrant à l’expansion des sentimens trop intimes, il ne les redoutait plus autant. Il se montra particulièrement sensible au témoignage d’affection toute virile reçu peu de mois avant sa mort de l’un de ses anciens collègues à l’assemblée nationale.

M. le marquis Costa de Beauregard, député de la Savoie, l’aimable auteur d’un Homme d’autrefois, quoique placé aux antipodes des opinions professées par Lanfrey, s’était pris pour lui de la plus vive amitié. De politique il n’en était guère question entre eux. Le royaliste avéré ne s’était jamais flatté d’amener son ami à partager ses convictions monarchiques ; mais jamais le chrétien convaincu n’avait entièrement renoncé à tâcher de l’attirer vers les croyances religieuses qui faisaient le fond habituel de leurs conversations familières. Au moment où Lanfrey quittait Paris, déjà condamné par les médecins, M. Costa de Beauregard, en lui apportant une médaille de la Vierge bénie à son intention, lui avait fait promettre qu’il la porterait sur lui. Il lui avait aussi demandé de s’engager, s’ils ne devaient plus se revoir, à songer sérieusement, avant de quitter ce monde, au secours que la religion catholique apporte à ceux qui sont à la veille de franchir le redoutable passage. Quand les nouvelles de Pau devinrent tout à fait alarmantes, il prit tout naturellement prétexte de l’envoi de son livre pour s’informer si son ami lui avait tenu parole. Voici la réponse de Lanfrey :


Cher ami, j’ai reçu votre billet avec votre volume qui exhale un si bon parfum de chevalerie. Je tiens à vous dire de suite combien je vous remercie, et suis heureux de ce que vous me dites d’affectueux.

C’est moi, cher ami, qui avais mille pardons à vous demander pour vous avoir manqué de parole. Je pourrais vous donner beaucoup de petites raisons qui ne vous paraîtraient peut-être pas sans force. Mais, cher ami, chacun doit mourir dans sa croyance, comme on s’enveloppait autrefois de toutes ses armes dans son tombeau. C’est le dernier témoignage à rendre au Dieu qu’on a servi. Le mien n’est pas l’ennemi du vôtre. J’adore la morale chrétienne d’un amour tout filial. Mais en tout, ce qui est dogme, ma raison est inflexible. Elle ne pliera jamais, et cela ne dépend pas d’elle.

C’est d’une main défaillante que je vous écris ces ligues. Je suis dans un état de faiblesse extrême et je ne crois plus guère à mon rétablissement. Il ne m’en tarde que davantage de vous écrire, très cher Beauregard, que je vous suis reconnaissant du fond de l’âme du mouvement si fraternel que vous avez eu à mon égard dans la touchante tentative que vous avez faite auprès de moi, et que je vous aime parce que vous