Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourtant encore Condé, elle lui permit peu après de se marier à la cour suivant le rite protestant ; elle accorda le prêche à tous les princes et à toutes les princesses de la religion, dans l’intérieur de leurs châteaux. On sait en effet depuis quelques années, car la vérité historique est tardive, que l’entrevue de Bayonne n’avait abouti à aucun résultat ; et l’on dut se préparer à la guerre en France quand on vit le duc d’Albe sortir d’Italie avec une belle armée, passer le Mont-Cenis, et se diriger par le Dauphiné, la Franche-Comté et la Lorraine vers les Pays-Bas ; nos frontières étaient pour ainsi dire insultées ; on fit mine de rassembler des troupes, et Condé en demanda le commandement. avec l’épée de connétable : Catherine lui fit d’abord une réponse évasive ; il était difficile de ne pas donner une armée au premier prince du sang quand tout semblait annoncer la guerre. « Le duc d’Ajnjou prit le prince à part et lui demanda fort haut de quel droit il voulait usurper une charge qui ne devait appartenir qu’à lui ; puis, après quelques phrases débitées sur le ton de la menace, il se retira sans attendre la réplique. Le duc d’Anjou sortait à peine de l’enfance, et, quoiqu’il fût déjà l’objet des funestes prédilections de sa mère, rien encore n’avait révélé chez lui une ambition si vive et si précoce. Évidemment la leçon lui avait été faite, Condé, surpris et irrité de cette sortie inattendue, demanda quelques explications ; mais déjà on avait jeté le masque ; il n’était plus question de guerre contre l’Espagne, ni d’armée à former : « Que ferez-vous donc des Suisses ? demanda-t-il. — Nous trouverons bien à les employer, » lui répondit-on. Le prince quitta immédiatement la cour[1]. »

La marche du duc d’Albe le long de la frontière française avait-elle été un acte prémédité devant servir de prétexte à la cour pour rassembler des forces qui devaient ensuite être tournées contre les protestans ? Tout semble aujourd’hui prouver le contraire ; la cour était en réalité très mal préparée pour une. lutte, même très mal gardée. Mais les huguenots crurent à un complot, et prenant les devans, ils se résolurent a en empêcher le développement par une action énergique.

Les Suisses, dont Condé parlait à la reine dans la conversation que nous avons rapportée plus haut, avaient été lents à se réunir : les six mille hommes demandés par la France formaient vingt enseignes de trois cents hommes et Pfyfler en était le colonel. Il traversa Genève et se rendit à Châlon-sur-Saône, où toutes les enseignes furent réunies le 11 août. Pfyffer estimait d’abord que sa mission consisterait à observer les Espagnols, mais il comprit bien

  1. Histoire des princes de Condé, car le duc d’Aumale.