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fut le terrible retour offensif de Coligny ; ces rencontres du soir furent les plus acharnées, et la bataille ne s’arrêta qu’à la nuit. Coligny avait rendu à ce qui était devenu la défaite des siens quelque chose des apparences de la victoire, mais aucune des deux armées ne resta sur le champ de bataille. Elles semblaient comme épouvantées de leurs sanglans efforts, ainsi que des résultats de la lutte. Chacune avait perdu son chef : le commandement restait des deux parts à ceux qui personnifiaient le plus vivement les passions qui avaient poussé tant de mains vaillantes, à Coligny et à Guise. Stratégiquement, la bataille de Dreux était certainement un avantage pour les catholiques, car elle empêcha leurs adversaires d’exécuter leur dessein de marcher sur la basse Seine ; on peut même soutenir qu’elle fut pour eux une victoire tactique, car, dit La Noue, « celui qui gaigne le camp du combat, qui prend l’artillerie et les enseignes d’infanterie, a assez de marques de sa victoire. »

La Noue, parlant de cette bataille, vante beaucoup la conduite des Suisses : « La seconde chose très remarquable fut la générosité des Suisses, qu’on peut dire qu’ils firent une digne épreuve de leur hardiesse. Car, ayant esté le gros corps de bataille, où ils étoient renversé à la première (charge) et leur bataillon mesme fort endommagé par l’esquadron de M. le prince de Condé, pour cela ils ne laissèrent de demeurer fermes en la place où ils avoient esté rangés bien qu’ils fussent seuls, abandonnez de leur cavalerie et assez loin de l’avant-garde. Trois ou quatre cents arquebusiers huguenots les attaquèrent, les voyant si à propos et en tuèrent beaucoup, mais ils ne les firent déplacer. Puis un bataillon de lansquenets les alla attaquer qu’ils renversèrent tout aussitôt et les menèrent battant plus de deux cents pas. On leur fit ensuite une recharge de deux cornettes de reîtres et françois ensemble, qui les fit retirer et avec un peu de désordre, vers leurs gens, qui avoient esté spectateurs de leur valeur. Et combien que leur collonel et quasi tous leurs capitaines demeurassent morts sur la place, si rapportèrent-ils une grande gloire d’une telle résistance. »

D’après les rapports officiels suisses, vingt et un officiers et trois cents soldats restèrent morts sur la place ; le nombre des blessés qui moururent de leurs blessures fut si grand que peu de temps après, il fut nécessaire d’envoyer de Suisse au régiment un complément de deux mille hommes. Charles IX écrivit aux cantons une lettre pour donner témoignage de la vaillance et des bons services des Suisses, « il ne se peult dire que gens de guerre ayant jamais rien faict de mieulx[1]. »

  1. L’original de cette lettre est aux archives de Lucerne.