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été rejetées en arrière, la ligne de bataille des royaux était trouée ; les huit canons qu’on leur avait donnés pour se couvrir avaient été pris ; le connétable avait en vain essayé de rallier ses forces, divisées par la charge de Coligny ; tombé de cheval, il avait été forcé de se rendre. La bataille semblait perdue pour les catholiques, et déjà les reîtres commençaient le pillage. Si, à cette heure suprême, les Suisses s’étaient débandés, la cause de Condé triomphait peut-être pour longtemps, peut-être pour toujours. Des étrangers qui ne comprenaient pas notre langue, de rudes montagnards venus des hautes vallées d’Uri, de Schwyz, d’Unterwalden, de Zug, noms inconnus aux Français, tinrent ce jour-là dans leurs mains le sort de la France, Lucerne combattit pour Paris. Les bannières des cantons devinrent des oriflammes.

Les Suisses s’étaient reformés, resserrés en ordre : quand les hommes de pied allemands voulurent les charger à leur tour, non-seulement ils repoussèrent l’attaque ; ils reprirent l’offensive et firent quelques centaines de pas en avant, assez pour reprendre les huit canons qu’on leur avait enlevés. La phalange des Suisses se trouva encore plus isolée après ces avantages obtenus sur les lansquenets, et la cavalerie huguenote qui l’avait d’abord brisée, puis débordée, et qui s’était dispersée assez loin, s’était de nouveau reformée et commençait à attaquer ses derrières. Depuis deux heures, elle portait tout le poids de la bataille : elle avait déjà perdu énormément de monde, quand elle reçut l’ordre de rallier le corps le plus rapproché de l’armée royale. À ce moment, Tammann, qui avait le commandement, fut frappé à mort, la phalange se forma presque spontanément en petits carrés qui se défendirent même à coups de pierres contre la cavalerie qui tourbillonnait autour d’eux. Ce moment fut le plus périlleux de la journée pour les Suisses ; heureusement que les troupes de l’aile droite, sous le duc de Guise et Saint-André approchaient et préparaient leur attaque.

L’infanterie française qui formait l’aile gauche de Condé n’avait pas encore donné, mais toutes les autres troupes de son armée avaient été engagées. Guise, qui avait pris le commandement après la capture de Montmorency, jugea que le moment décisif était venu. Déjà on félicitait Condé de sa victoire, il montra l’aile droite catholique : « Vous ne faites donc pas attention à ce gros nuage qui va fondre sur nous ? » Le corps tout entier de Guise et de Saint-André s’ébranlait, il changea bientôt la face des affaires et convertit la défaite des catholiques en victoire. Nous ne raconterons pas cette deuxième phase de la bataille, la capture de Condé, la déroute des troupes huguenotes : nous ne dirons rien non plus du troisième acte, qui