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six mille Suisses avaient déjà servi en France et les capitaines des enseignes avaient été désignés par les cantons. A partir de Henri II, les nominations furent faites en apparence par l’ambassadeur de France, mais en réalité celui-ci nommait des bourgeois ou propriétaires choisis par l’autorité cantonale. Ces commandans des enseignes nommaient eux-mêmes leur lieutenant et tout le cadre des sous-officiers. L’enseigne, qui devait avoir trois cents combattans, était l’unité tactique en même temps qu’administrative ; les capitulations étaient directes entre l’ambassadeur et chacun des commandans des enseignes. Le régiment formait une unité tactique et administrative supérieure : c’étaient les capitaines qui choisissaient eux-mêmes dans leurs rangs le colonel du régiment. Ce choix devait être confirmé par la nomination royale. Les régimens étaient de force bien inégale, ils pouvaient avoir depuis treize jusqu’à trente-trois enseignes. Les Suisses ne dépassaient pas volontiers le chiffre de six mille hommes ou vingt enseignes par régiment, mais les rois de France essayaient toujours de l’augmenter pour diminuer leurs frais, car les dépenses de l’état-major régimentaire étaient toujours les mêmes. Outre son colonel suisse, le régiment avait un colonel français, mais celui-ci ne faisait que servir d’intermédiaire entre les Suisses et le commandement supérieur de l’armée. Tous les détails de l’organisation des régimens suisses tendaient en somme à créer une puissante unité, une solidarité qui se reflétaient bien dans l’ordre de bataille ; l’infanterie était déjà plus nombreuse au XVIe siècle dans les armées royales que la cavalerie, mais on ne la regardait pas encore comme la reine des batailles. Les gros bataillons serrés et hérissés de piques des Suisses, dédaigneux de couvrir leurs flancs par la cavalerie, faisaient un étrange contraste avec les compagnies d’ordonnance, les hommes d’armes du roi, les francs-archers, les arquebusiers à cheval, les gentilshommes qui portaient encore la lance comme les anciens chevaliers.


I

Les mouvemens causés par la réforme en France avaient eu comme des remous dans les cantons suisses et avaient jeté quelque trouble dans les relations militaires des deux pays. Les réformés se couvraient du nom du roi, et se croyaient ainsi le droit de faire appel aux confédérés suisses. La Suisse elle-même était divisée : la guerre dite des chapelles y avait mis aux prises en 1532 les catholiques et les protestans, et la paix qui l’avait suivie n’avait guère que les caractères d’une trêve ; un groupe de cantons s’était formé, qui était désormais uni par la solidarité des intérêts