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entière à la France : il y arriva comme capitaine d’une enseigne d’infanterie ; devenu colonel sur le champ de bataille de Dreux, il resta dans notre pays jusqu’après la bataille de Moncontour. Retourné en Suisse, il devint le chef du parti catholique dans les vieux cantons et déploya comme administrateur et comme homme d’état autant de qualités qu’il en avait montré comme militaire. C’est surtout comme soldat au service de la France qu’il nous intéresse. Il a raconté les actions auxquelles il a pris part depuis 1562 jusqu’à 1570 dans un style sobre et dénué de tout ornement. Parfois il lui échappe un mot de tristesse à l’aspect des misères qu’entraîne pour le pauvre peuple la fureur des deux partis ; de lui-même il ne parle jamais. « Il n’y a, dit M. de Segesser, rien de plus simple, de plus uni que ces lettres, froides et sensées, dont la plupart sont écrites de sa propre main. Les plus grands événemens y sont traités comme des circonstances tout ordinaires. » On n’y voit que le conducteur d’hommes, méthodique, toujours occupé de la santé du soldat, de son bien-être, soigneux des plus menus détails ; pour lui, comme pour ceux qu’il mène à la bataille, la guerre est un métier ; il met son honneur à le bien faire et semble n’avoir d’autre mobile. Il y a sans doute au fond de son cœur une foi sérieuse et sincère, la foi catholique ; elle échappe parfois, toute naïve, dans un appel à Jésus, à la sainte vierge Marie ; on sent percer aussi çà et là quelque colère, quelque indignation contre les ambitions politiques qui, sous le couvert de la religion, déchirent le beau pays de France et le privent de tout repos. Étranger, il semble parfois plus patriote que ceux qu’il sert ou que ceux qu’il combat. Ce qui domine pourtant chez lui, c’est l’orgueil du condottiere, non pas d’un condottiere qui aurait ramassé des mercenaires de tout pays, mais du chef d’armée qui connaît tous ses soldats, qui en est le père, qui se sent attaché à eux par les liens les plus étroits, qui est sûr d’eux comme ils sont sûrs de lui. Les Suisses ! il faut qu’à ce mot les peuples sachent qu’ils n’ont à craindre ni désordre, ni pillage ; il faut que les ennemis, quels qu’ils soient, soient émus de. leur approche, que la plus brave cavalerie du monde tressaille à la vue de leurs piques ; il faut que le roi, que la cour ne se sentent tranquilles et à l’abri de toute surprise que quand leurs enseignes font la garde.

La fidélité des Suisses à la couronne française est un des traits de notre histoire qu’il ne nous est pas permis d’oublier. Elle date de la fameuse « paix perpétuelle, » signée, après la bataille de Marignan, en 1516. Les articles de ce traité obligeaient le roi de France à payer aux cantons une pension annuelle et perpétuelle ; ils lui permettaient de prendre à sa solde, toutes les fois qu’il le