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leur donner des congés, d’élever leurs traitemens, de leur distribuer des faveurs ou des peines. Ce système détruit jusqu’aux moindres velléités d’indépendance. Il n’est que temps d’y mettre un terme afin de laisser à chacun, avec la responsabilité de ses actes, une certaine liberté individuelle. Nous voudrions également que le barreau fût en quelque sorte décentralisé ; qu’au lieu d’être soumis à une autorité unique siégeant à Alexandrie, il fût divisé, comme en Europe, en barreaux spéciaux placés auprès de chaque tribunal et dont la surveillance aérait d’autant plus facile qu’elle serait moins étendue.

On trouvera peut-être bien nombreuses et bien compliquées la modifications que nous proposons d’opérer dans la réforme judiciaire. Nous avons voulu tracer un plan d’ensemble ; mais s’il était impossible de l’exécuter tout entier, on obtiendrait déjà de grands résultats par l’exécution de quelques-unes de ses parties. La première chose à faire serait sans nul doute d’organiser un tribunal des conflits qui réprimerait les empiétemens politiques de la cour. Au point de vue purement judiciaire, si l’on ne croyait pas possible de se servir pour les procès égyptiens d’une cour de cassation étrangère, et si, d’autre part, des raisons d’économie interdisaient de créer une cour de cassation locale, il faudrait du moins partager entre la cour, les tribunaux et le parquet les pouvoirs que la cour a accaparés pour elle seule. La reconstitution du parquet est le premier article d’un programme de réformes efficaces. Il est indispensable qu’il y ait, à côté du vice-président de la cour, un procureur-général suffisamment armé pour défendre ses propres droits et ceux de l’état. Il faut également que les juges de première instance ne soient plus à la merci d’un seul homme : ils ont fait leurs preuves de capacité, d’honnêteté, d’indépendance ; les maintenir plus longtemps sous une tutelle rigide serait une criante injustice. Le pouvoir absolu produit partout les mêmes effets ; on n’a pu le supporter chez le khédive : il ne serait guère logique de le laisser subsister chez le chef de la magistrature. La réforme générale de l’Égypte est en bonne voie ; la prospérité matérielle du pays fait chaque jour d’immenses progrès ; sa prospérité morale augmente aussi d’une manière sensible ; mais elle ne sera assurée que si la commission internationale qui se réunira au Caire, afin d’y étudier l’organisation de la magistrature, prend des moyens efficaces pour faire de cette magistrature un corps uniquement judiciaire, et non plus, ce qu’il n’a que trop été jusqu’à présent, un corps politique et législatif.


GABRIEL CHARMES.