Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’arrêter au parti que nous proposons. Peut-être blesse-t-il certaines susceptibilités peu réfléchies, mais il ne porte atteinte à aucun droit, à aucun intérêt ; il garantit au contraire tous les droits, tous les intérêts légitimes. Qu’y a-t-il de choquant d’ailleurs à prendre dans un pays étranger la cour suprême d’une justice étrangère, internationale, qui n’est égyptienne que de nom et qui dans la réalité a toujours été jusqu’ici une force anti-égyptienne ? On aurait à se plaindre, si cette cour était choisie dans une des grandes puissances dont l’influence politique sur l’Égypte est considérable et donne lieu à des campagnes d’ambition individuelle, car on offrirait par là à cette puissance une arme dont elle se servirait uniquement à son profit. Mais pense-t-on que la Belgique ait la moindre velléité de s’emparer de l’Égypte et qu’elle puisse songer à faire des arrêts de sa cour de cassation les jalons d’une conquête future ? Ç’a été une grande imprudence de permettre à l’Allemagne et à l’Autriche, qui ont sans cesse les yeux tournés vers la Méditerranée, d’user de la réforme judiciaire pour conquérir sur l’Égypte une autorité à laquelle elles n’avaient aucun droit. Mais l’influence de la Belgique n’a rien de redoutable pour personne ; tout le monde peut s’y exposer d’un cœur rassuré.

Après avoir été chercher au dehors une cour de cassation, il ne serait pas indispensable de créer en Égypte une seconde cour d’appel pour juger de nouveau les procès réformés par cette cour. La cour d’appel actuelle est divisée en deux chambres ; on pourrait tout simplement séparer nettement ces deux chambres, placer le siège de l’une au Caire, laisser Celui de l’autre à Alexandrie, et décider qu’une affaire jugée par une chambre serait renvoyée devant l’autre. Cette construction hybride surprendrait au premier abord ; mais en Égypte ce sont les constructions logiques qui réussissent le moins ; ce qui paraît le plus absurde chez nous est souvent ce qu’il y a de plus sage et de plus fécond sur les bords du Nil. L’avantage de diviser en deux sections la cour d’appel d’Alexandrie serait d’enlever à son vice-président ou à son successeur l’autorité sans bornes que M. Lapenna s’est arrogée et dont il a fait un usage si habile, si utile à son pays, mais si peu conforme aux règles strictes de la justice ainsi qu’aux besoins généraux. C’est un très grand danger de laisser se produire en Égypte une grande personnalité judiciaire. L’exemple de M. Lapenna le prouve. Depuis quatre ans, M. Lapenna est l’homme qui a exercé sur la marche des affaires égyptiennes la plus grande influence : indépendamment de la cour et des tribunaux sur lesquels cependant il règne en maître, il est devenu par lui-même une force politique de premier ordre. Supérieur dans l’action administrative et dans l’intrigue diplomatique, il a joué en toutes circonstances un rôle décisif, et