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de la magistrature, de caractère légal ; tout au plus le tribunal de première instance du Caire a-t-il consenti à leur reconnaître le caractère d’un contrat civil passé entre le gouvernement égyptien et ses créanciers[1], ce qui est à coup sûr la plus étrange conception juridique qui ait jamais été imaginée par des magistrats. Plus tard, lorsqu’il est devenu incontestable que l’intérêt fixé par MM. Joubert et Goschen était trop élevé, lorsque la commission d’enquête en a réclamé la réduction, lorsque le khédive a essayé de l’effectuer, l’obstacle de l’illégalité a surgi immédiatement ; toutes les tentatives de réorganisation financière de l’Égypte sont venues jusqu’ici s’y briser. C’est surtout le règlement de la dette flottante que la jurisprudence des tribunaux de la réforme a rendu tellement inextricable qu’il a fallu des années et un immense effort diplomatique pour en venir à bout. On sait qu’à la suite du premier rapport de la commission d’enquête, qui déclarait le khédive et sa famille responsables de la ruine de l’Égypte, tous les biens du vice-roi, des princes et princesses ont été cédés à l’état comme gage d’un emprunt destiné à payer cette dette. Rien n’était plus clair que les termes de la donation. Il était évident qu’elle était faite pour un but déterminé et sous une condition spéciale. Les biens cédés à l’état passaient dans le domaine public, où ils devaient recevoir une affectation particulière à laquelle on ne pouvait les soustraire sous aucun prétexte. Propriété commune de tous les créanciers, il était inadmissible qu’ils servissent à quelques-uns d’entre eux aux dépens des autres. Cependant, à peine ces biens étaient-ils livrés qu’un certain nombre de créanciers les frappaient d’hypothèques. Ces hypothèques étaient-elles valables ? Le tribunal du Caire s’était prononcé pour la négative ; la cour d’appel d’Alexandrie a réformé son jugement. Dans un arrêt, non moins célèbre en Égypte que l’arrêt Carpi, elle a soutenu de nouveau que la puissance publique égyptienne était en quelque sorte une fonction des gouvernemens étrangers, et que, lorsqu’elle voulait s’exercer sans eux, elle se mettait en insurrection contre la loi. — « Alors même, dit cet arrêt, que l’intention attribuée à S. A. le khédive eût été formellement exprimée dans le décret (par lequel les biens de la famille khédiviale avaient été cédés pour servir de gage à l’emprunt destiné à solder l’ensemble de la dette flottante)

  1. Nous avons déjà dit que la cour d’appel venait de proclamer son incompétence, ce qui fait tomber l’ingénieuse et plus qu’étrange théorie du tribunal du Caire considérant un état comme une personne civile contractant avec des particuliers. Mais, en pratique, c’est la théorie du tribunal du Caire et des premiers arrêts de la cour qui continue à triompher, puisque les puissances, à défaut d’une entente amiable entre l’état égyptien et ses créanciers, ont imposé leur intervention directe pour modifier la loi financière et arriver à une liquidation des dettes publiques.