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où le même duc Decazes affirmait, dans une déclaration officielle, que « la juridiction des nouveaux tribunaux ne saurait s’étendre jusqu’à la faculté de consacrer la légalité (et par contre l’illégalité) de toute mesure fiscale qui serait contestée par la voie diplomatique, et que l’action des gouvernemens étrangers où de leurs agences et consulats pourrait toujours s’interposer pour obtenir la cassation ou la réparation d’actes contraires, soit aux stipulations des traités, soit aux prescriptions du droit des gens. » Cette sage distinction entre les droits de la magistrature et ceux de la diplomatie avait disparu. Comme la conduite financière du gouvernement égyptien inspirait une méfiance universelle, tout moyen paraissait bon pour le combattre. La cour d’appel d’Alexandrie se plaçait à la tête de la campagne entreprise contre le khédive. Qu’importait qu’elle se servît d’armes prohibées ! Pourvu que les coups atteignissent le but, on ne se préoccupait de savoir ni de quelle main ils étaient partis ni par quels moyens ils avaient été portés. Il eût été pourtant bien facile de prévoir à quels dangers on se heurterait, le jour où, sortant de l’état de crise violente pour rentrer dans un ordre relatif, on chercherait à réorganiser l’administration et les finances du pays, si l’on permettait à une cour, possédant déjà des pouvoirs judiciaires exorbitans, de s’arroger de plus des pouvoirs politiques presque sans limites. Ce qu’on avait voulu, en organisant la réforme, était-ce donc créer, à côté du vice-roi, un sorte d’assemblée législative qui lui disputerait ses prérogatives souveraines, qui s’emparerait d’une partie de la puissance publique ? Était-ce opérer une mainmise sur la législation de l’Égypte, au profit de la cour d’abord, et en second lieu des puissances ? Si quelques gouvernemens, l’Autriche et l’Allemagne en tête, avaient eu cette pensée, ce qui est assez probable, puisqu’elles avaient envoyé à Alexandrie des hommes politiques plutôt que des magistrats, il est clair que la France et l’Angleterre s’étaient inspirées de tout autres sentimens en donnant leur adhésion à la réforme et en envoyant à Alexandrie de purs jurisconsultes. Mais n’ayant pas jugé à propos de soutenir en 1876 les protestations du khédive contre les excès de pouvoir de la magistrature, elles ont laissé se produire une situation dont les périls se sont retournés contre elles le jour où elles ont pris en main les affaires de l’Égypte et où elles ont essayé de les résoudre avec équité et bonne foi.

A partir de l’arrêt Carpi, il a été convenu, en effet, qu’aucune loi financière ne pourrait être reconnue valable en Égypte sans l’adhésion unanime des puissances qui ont adhéré à la réforme judiciaire, et que toute loi faite en dehors de cette condition essentielle serait repoussée par les tribunaux. Ainsi les arrangemens proposées par MM. Joubert et Goschen n’ont jamais eu, aux yeux