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profession puissent seuls apprécier leur moralité ou leur immoralité. C’est de mille indices particuliers que se forme sur eux une opinion compétente. La cour, qui ne les voit pas agir, qui ne les juge que sur des faits patens d’improbité, est portée à les traiter avec une indulgence excessive. Mieux vaudrait à coup sûr supprimer absolument les mandataires et organiser en Égypte un corps d’avoués régulièrement constitué, offrant aux parties des garanties d’intelligence et d’honnêteté.

Mais ce n’est pas seulement de la cherté de la justice que les indigènes ont à se plaindre. Nous avons exposé ici même, l’année dernière[1], comment l’introduction en Égypte d’un régime d’hypothèques peu approprié aux mœurs locales avait eu pour résultat de faire passer de nombreuses propriétés entre les mains d’usuriers sans scrupule. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet, n’ayant pas le dessein d’étudier en ce moment les conséquences de la réforme au point de vue indigène. Le point de vue politique et international nous occupe uniquement. Ce n’est pas le sol de l’Égypte seul qui a été exproprié depuis quelques années, c’est encore le gouvernement du pays, dont les attributions les plus essentielles ont été transportées en des mains étrangères. Aujourd’hui, l’Égypte ne s’appartient plus ; elle n’appartient même plus à quelques grandes puissances dont les intérêts sur les bords du Nil autoriseraient la domination morale ; elle est le bien commun des quatorze nations qui ont adhéré à la réforme judiciaire et qui ont tiré injustement de cette adhésion le droit d’intervenir sans cesse dans l’administration et la législation du pays. Il est à remarquer que, dès l’origine des négociations pour l’établissement des tribunaux mixtes, la Porte ottomane avait prévu le danger que ces tribunaux feraient courir à la législation intérieure de l’Égypte et qu’elle avait tenté de le prévenir. Ainsi l’article 21 d’un projet de règlement judiciaire préparé en 1870 par le gouvernement français contenait un paragraphe ainsi conçu : « Jusqu’à ce que l’administration égyptienne possède un conseil consultatif offrant des garanties suffisantes en ce qui concerne les modifications qui pourraient être introduites dans les nouveaux codes, tout changement apporté dans les lois donnera aux cabinets le droit d’examiner si les conditions de l’arrangement intervenu ne se trouvent pas altérées. » Ce paragraphe, comme on le voit, ne portait qu’une atteinte indirecte au pouvoir législatif du gouvernement égyptien : d’abord il prévoyait l’hypothèse où l’organisation d’un conseil consultatif offrant des garanties suffisantes enlèverait aux puissances tout droit d’ingérence dans la législation intérieure de l’Égypte : et

  1. Voyez la Revue du 13 août 1879.