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impitoyablement brisé. M. Lapenna avait compris tout de suite que, pour réussir dans ses desseins, il fallait non-seulement gouverner d’une manière absolue la cour d’appel d’Alexandrie, mais encore exercer le même pouvoir sur les trois tribunaux de première instance. Par bonheur, la convention internationale donnait à la cour une autorité disciplinaire indéfinie sur ces tribunaux. Il suffisait donc d’étendre outre mesure cette autorité, sous prétexte de la définir, pour dominer entièrement tout le corps de la magistrature. Or, avec un peu de hardiesse et de dextérité, rien n’était plus aisé. Il était convenu qu’un règlement judiciaire général et détaillé serait dressé par la cour, puis soumis à l’examen des tribunaux et à l’approbation du ministre de la justice. Afin d’aller plus vite en besogne, on dressa un règlement provisoire pour la première année. Ce règlement comprenait 248 articles qui touchaient à la fois à toutes les questions administratives et judiciaires. On le présenta au ministre de la justice la veille même du jour où le khédive devait inaugurer la réforme dans une cérémonie solennelle. Le ministre se récria, demandant quelques jours pour examiner une œuvre aussi considérable. — Soit ! lui répondit-on ; mais alors les tribunaux ne s’ouvriront pas demain ; la fête commandée par le khédive n’aura pas lieu ; la manifestation destinée à entraîner l’adhésion des puissances qui n’ont pas encore accepté la réforme sera compromise ; tous les effets qu’on en attend seront perdus. Et pourquoi cela ? Pour vous permettre de discuter quelques points de détail dans un règlement provisoire que vous pourrez modifier de fond en comble au bout d’un an ! — Mis ainsi au pied du mur, le ministre dut signer le règlement sans le lire. Un an après, il l’avait lu et les tribunaux aussi ; mais il était trop tard pour y rien changer ! La cour, devenue maîtresse, repoussa toutes les observations qu’on lui fit de divers côtés sur ses innombrables empiétemens et maintint son règlement intact : le pli était pris, il n’y avait plus à y revenir.

Quand on examine avec quelque attention ce règlement judiciaire, on reconnaît sans peine qu’il a eu pour but : 1° de supprimer toutes les autorités rivales de celle du vice-président de la cour d’appel ; 2° de placer entièrement les magistrats de première instance sous la direction de ce vice-président. Dès l’article 6, le règlement porte que « les juges des tribunaux et les conseillers de la cour d’appel sont magistrats ; que les greffiers, commis greffiers et interprètes sont fonctionnaires de l’ordre Judiciaire, et que les huissiers sont officiers attachés à l’ordre judiciaire. » Des membres du parquet, auxquels la convention internationale avait voulu réserver une autorité considérable, il n’est même pas fait mention. La cour les supprime d’un trait de plume. On est frappé, dans la suite du règlement, de voir combien le procureur-général et le ministre de